La drôle de guerre – acte II : piège, communiqué… et Ligne Durand ?

Cessez-le-feu ou capitulation silencieuse ?

  • Le Qatar annonce un cessez-le-feu entre Pakistan et Talibans présenté comme une désescalade.
  • Deux communiqués différents : le premier mentionne la « stabilité entre les deux pays », le second efface ce passage.
  • La première version implique une reconnaissance implicite de la Ligne Durand.
  • La suppression du mot « frontière » révèle une panique politique ou un accord caché.
  • Islamabad utilise ce cessez-le-feu comme piège diplomatique et outil de domination.
  • À Doha, les Talibans ont été publiquement humiliés par l’ISI, devant des diplomates étrangers.
  • Le Pakistan internationalise l’idée que les Talibans abritent des groupes terroristes pour les forcer à obéir.
  • Le « piège parfait » d’Amrullah Saleh : représenter ou combattre le TTP, dans tous les cas les Talibans se soumettent.
  • Seules les résistances NRF et AFF restent lucides : pas de soutien aux Talibans, poursuite de la guérilla.
  • Question clé : les Talibans ont-ils secrètement accepté la Ligne Durand, trahissant la dernière cause nationale afghane ?

Le Qatar a annoncé un « cessez-le-feu immédiat » entre le Pakistan et les Talibans, accompagné de mécanismes pour assurer une « paix durable » et des réunions de suivi. À première vue, tout semblait indiquer une désescalade positive. Mais un détail bouleverse la lecture de cet événement : le communiqué officiel a existé en deux versions différentes.
Dans la première, le texte évoquait clairement la « stabilité entre les deux pays » et l’engagement de ne mener aucun acte hostile l’un envers l’autre. Cette formulation impliquait une reconnaissance mutuelle d’État à État… donc la reconnaissance implicite d’une frontière entre eux. Autrement dit : la Ligne Durand.
Or, quelques heures plus tard, une deuxième version du communiqué est publiée. Cette fois, toute mention de « frontière » ou de « deux pays » a disparu. Une modification discrète, mais politiquement monumentale. Ce changement soulève une question simple : qu’a-t-on voulu cacher ?

Le Pakistan tente depuis toujours de faire reconnaître la Ligne Durand comme frontière internationale. Tracée en 1893 par les Britanniques, cette ligne a été rejetée par tous les régimes afghans, monarchiques, républicains ou islamistes. Même les Talibans, durant leur premier règne (1996-2001), n’avaient jamais osé l’accepter officiellement.
La première version du communiqué ressemblait donc à une victoire stratégique historique pour Islamabad. Les Talibans semblaient avoir cédé, même implicitement. Puis, soudain, le mot « frontière » disparaît. Pourquoi ? Parce que les Talibans ont compris le piège. Reconnaître la Ligne Durand reviendrait à trahir leur base pachtoune, perdre leur seul capital nationaliste, et offrir au Pakistan le triomphe géopolitique qu’il cherche depuis 130 ans.

Qui a exigé la modification ? Trois hypothèses existent.
Peut-être les Talibans eux-mêmes, paniqués à l’idée d’une colère populaire. Peut-être le Qatar ou la Turquie, soucieux de ne pas déclencher une crise intérieure à Kaboul. Peut-être – plus inquiétant – un accord secret a bel et bien été conclu sur la frontière, mais la formulation publique a été adoucie pour sauver les apparences. Dans ce scénario, la Ligne Durand serait de facto acceptée dans les faits, mais dissimulée au peuple afghan.

Il faut donc relire toute la séquence à la lumière de cette manipulation. Ce « cessez-le-feu » n’était pas un geste de paix, mais une opération de renseignement politique menée par Islamabad. Les frappes sur Paktika, la réponse talibane, les affrontements jusqu’à Kaboul n’étaient pas une dérive : c’était un test. Le Pakistan a observé chaque réaction, à Kaboul comme dans la diaspora.
Certaines figures de l’ancien régime ont appelé à « s’unir derrière les Talibans » au nom de la souveraineté. Un général réfugié aux États-Unis, toujours en uniforme, est soudain apparu en tenue pachtoune. Ce glissement identitaire n’est pas anodin. Islamabad a pris note : qui soutient les Talibans ? Qui se rallie ? Qui se tait ? Qui devient ambigu ? Le but n’était pas la victoire militaire, mais la cartographie politique.

À Doha, il ne s’est pas tenu une négociation, mais une démonstration de pouvoir. Selon plusieurs témoignages, le chef de l’ISI a humilié Mullah Yaqub en lui rappelant que le Pakistan avait « fabriqué » les Talibans, mené leur guerre et fait de lui un ministre. Cette phrase, prononcée devant des diplomates occidentaux et régionaux, était un message clair : « Nous contrôlons ce régime. »
Dans le même temps, Islamabad a renforcé sa narration internationale : les Talibans abritent des groupes terroristes (TTP, BLA, etc.). Conclusion imposée : soit les Talibans coopèrent pour les éliminer, soit ils en sont complices. Dans les deux cas, le Pakistan obtient la mainmise.

Le piège décrit par Amrullah Saleh est imparable.
Si les Talibans représentent le TTP, ils doivent le désarmer pour le Pakistan.
S’ils ne le représentent pas, ils doivent le combattre aux côtés du Pakistan.
Dans les deux cas, ils se placent sous la tutelle de Rawalpindi.

Au milieu de ce théâtre, un détail est passé presque inaperçu : la seule force qui n’a pas mordu à l’hameçon, c’est la résistance. Le NRF et l’AFF n’ont pas crié au patriotisme derrière les Talibans. Ils n’ont pas dénoncé bruyamment la Ligne Durand. Ils ont refusé d’entrer dans la polarisation manipulée par Islamabad et Kaboul. Ils ont continué leur guérilla, en silence, sans offrir au Pakistan le prétexte qu’il recherchait. C’est la preuve d’une intelligence stratégique rare.

Il faut maintenant poser la seule question qui compte : les Talibans ont-ils, oui ou non, accepté la Ligne Durand ?
Si la première version du communiqué reflétait la réalité de l’accord, alors ils l’ont fait — puis ont tenté de le cacher.
Si la deuxième version reflète la vérité officielle, alors c’est que le Pakistan a tenté le coup de force diplomatique… et qu’il a échoué, pour l’instant.
Dans les deux cas, la Ligne Durand est bien le cœur du problème.
Ce cessez-le-feu n’est pas la fin d’une crise. C’est l’ouverture d’un nouveau chapitre, bien plus dangereux : celui où les frontières se négocient en silence, où la légitimité se joue dans les détails d’un communiqué, et où une guerre peut se gagner sans tirer un coup de feu… simplement en faisant reconnaître une ligne.

La drôle de guerre n’est pas terminée. Elle vient de changer de forme.



Comments are closed