
📝 Compte Rendu Détaillé : Le Mécanisme d’enquête indépendant pour l’Afghanistan (IIM-A)
Le Mécanisme d’enquête indépendant pour l’Afghanistan (IIM-A) est une nouvelle entité créée par les Nations Unies, adoptée par une résolution du Conseil des droits de l’homme (CDH) le 6 octobre 2025. Sa création fait suite à des années de plaidoyer inlassable de la part des groupes de victimes et des organisations de défense des droits de l’homme, en dépit de l’opposition initiale de certains États ayant eu des troupes dans le pays et d’une crise de liquidités aux Nations Unies.
L’IIM-A est conçu sur le modèle de mécanismes similaires pour la Syrie (IIIM) et le Myanmar (IIMM). Son rôle est de fonctionner comme un pôle d’enquête professionnel indépendant, sans être une cour ou un tribunal. Son objectif principal est de collecter, préserver, analyser et consolider des preuves de crimes graves en Afghanistan afin de préparer des dossiers prêts à être utilisés par des procureurs dans diverses juridictions.
1. 🌐 Mandat et Portée Étendus du Mécanisme
Le mandat de l’IIM-A, tel que défini par la résolution du CDH, est exceptionnellement large, couvrant l’ensemble du territoire afghan, une temporalité illimitée et une vaste catégorie de crimes et d’auteurs.
Crimes et Portée Matérielle
L’IIM-A couvre les crimes internationaux les plus graves : le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression. Il inclut également les violations les plus graves du droit international des droits de l’homme (DIDH), applicables en temps de paix comme en temps de guerre (tels que la torture et la discrimination).
Un accent clair est mis sur la documentation des crimes commis « contre les femmes et les filles ». Cette mention explicite vise à faciliter la poursuite de la persécution de genre en cours par l’Émirat islamique d’Afghanistan (IEA), un crime contre l’humanité pour lequel des mandats d’arrêt ont déjà été émis contre des dirigeants talibans par la CPI. L’approche du mécanisme est explicitement requise pour être centrée sur les victimes et sensible au genre.
Portée Temporelle et Géographique
Un élément essentiel du mandat est son caractère non limité dans le temps, couvrant les crimes passés, en cours et futurs. Cette portée historique complète est vitale car elle comble un vide laissé par d’autres mécanismes :
- La CPI ne peut enquêter que sur les crimes commis après mai 2003, date de l’adhésion de l’Afghanistan au Statut de Rome.
- Le Rapporteur Spécial des Nations Unies se concentre principalement sur les violations en cours.
En couvrant l’ensemble des décennies de conflit et d’abus, l’IIM-A est potentiellement autorisé à examiner l’intégralité du dossier historique. Cependant, l’ampleur colossale des crimes potentiels sur une période si longue pose un défi logistique majeur en matière de sélection des cas, compte tenu des contraintes de ressources. Géographiquement, le mécanisme a compétence pour les crimes commis n’importe où sur le territoire afghan. Néanmoins, il est probable que les crimes commis entièrement à l’étranger mais liés au conflit (comme les allégations de rendition et de torture de la CIA) soient exclus.
Identification des Auteurs
Le mandat permet d’enquêter sur les crimes attribués aux « individus et entités ». Cela inclut une très longue liste de responsables potentiels :
- Individus : Personnes ayant une responsabilité de commandement au sein de groupes armés, d’anciennes et actuelles autorités afghanes, y compris les Talibans et l’ISKP.
- Entités : Les groupes eux-mêmes (le Taliban en tant qu’insurrection et autorité, l’ISKP, divers anciens groupes moudjahidines, et les forces étrangères impliquées sur plusieurs décennies).
L’inclusion des « entités » ouvre la voie à l’exploration de la responsabilité corporative, un concept encore émergent mais en progression dans le droit international, comme l’illustrent des cas récents en France et en Suède.
2. 🚀 L’IIM-A : Un Tremplin pour la Responsabilité
L’IIM-A est conçu comme un mécanisme-pont qui soutient et intensifie les efforts de justice en partageant preuves et analyses avec de multiples juridictions.
Débloquer les Cas de Compétence Universelle (CU)
Le Mécanisme pourrait avoir son impact le plus direct dans le domaine de la compétence universelle (CU), permettant aux États (principalement européens, mais aussi le Canada, l’Australie, etc.) de poursuivre les crimes graves où qu’ils aient été commis.
Le mécanisme syrien (IIIM) a servi de modèle en recevant des centaines de demandes d’assistance et en contribuant à de multiples poursuites nationales. Pour l’Afghanistan, l’IIM-A peut transformer les résultats inégaux des affaires passées (comme aux Pays-Bas, où les faiblesses des dossiers de preuves ont conduit à des acquittements) en un flux plus stable de poursuites viables par CU. Son existence même peut encourager les procureurs nationaux, souvent limités en ressources et en accès, à se saisir de dossiers afghans.
Soutien à la CPI et à la CIJ
L’IIM-A est en mesure d’apporter un soutien considérable au Bureau du Procureur (BdP) de la CPI. Le BdP a limité la portée de son enquête actuelle aux crimes du Taliban et de l’ISKP en raison de contraintes de ressources et de la « gravité, l’ampleur et la nature continue » de leurs crimes. L’IIM-A peut :
- Répondre aux exigences de la CPI : En fournissant des preuves et des analyses qui respectent les normes probatoires de la CPI.
- Élargir la portée : En aidant à surmonter les contraintes de ressources qui ont conduit la CPI à déprioriser d’autres aspects de l’enquête, y compris les crimes commis avant 2021.
De plus, l’IIM-A devrait coopérer avec les futures actions devant la Cour internationale de justice (CIJ). Si le Taliban continue de violer la CEDAW, une action interétatique devant la CIJ est attendue, et le soutien de l’IIM-A aux États parties au différend sera crucial.
Responsabilité Domestique et Justice Transitionnelle
Le Mécanisme encourage indirectement les pays qui ont déployé des troupes à intensifier leurs propres enquêtes internes (comme l’Australie et le Royaume-Uni) avant que l’IIM-A ne s’implique. Il peut également contribuer directement aux enquêtes domestiques en partageant des preuves et des analyses.
À long terme, le travail de l’IIM-A est un investissement dans la justice transitionnelle future de l’Afghanistan. En préservant des archives de preuves « authentiques » à des normes judiciaires, il garantit que lorsque l’opportunité d’un programme national de justice transitionnelle se présentera, le pays disposera des bases nécessaires pour la réconciliation et la réforme.
3. ⚠️ Défis, Limites et Risques Opérationnels
Malgré la force de son mandat, l’IIM-A opère dans un environnement complexe, avec des défis pratiques considérables.
Ressources et Attentes Élevées
La portée expansive du mandat se heurte inévitablement à des ressources finies. Le déploiement de l’IIM-A se fait dans un contexte de crise de liquidités aux Nations Unies. Le budget proposé, qui commence modestement et dépend d’un Fonds Fiduciaire volontaire, est significativement inférieur à celui des mécanismes pour la Syrie (25 millions USD en 2024) et le Myanmar (15 millions USD). Cette dépendance au financement volontaire rend l’IIM-A vulnérable aux cycles de donateurs imprévisibles et potentiellement à des conditionnalités politiques, qui pourraient risquer de politiser le choix des dossiers. La gestion des attentes des victimes, face à cette contrainte de capacité et aux décennies d’impunité, sera un exercice délicat.
Le Piège de la Complémentarité
L’IIM-A doit travailler « en complémentarité avec » les processus nationaux et internationaux existants. Bien que ce langage vise à satisfaire les États préoccupés par des enquêtes externes, il crée une zone grise :
- Les États ayant des forces militaires impliquées (comme le Royaume-Uni, qui a tenté de modifier le libellé de la résolution) pourraient abuser de ce principe en affirmant qu’une enquête nationale, même superficielle, est en cours pour bloquer l’intervention de l’IIM-A.
- L’expérience passée montre que les États peuvent utiliser le principe de complémentarité pour éviter la responsabilité, comme l’a fait le gouvernement afghan de la République pour bloquer l’enquête de la CPI.
Accessibilité, Coopération et Sécurité
L’obstacle opérationnel le plus important est le manque d’accès et de coopération de facto. L’IEA a déjà interdit l’accès au Rapporteur Spécial de l’ONU et a refusé publiquement de coopérer avec la CPI. Il est hautement improbable qu’il permette des enquêtes sur sa propre culpabilité ou sur son territoire. En conséquence :
- L’IIM-A pourrait ne pas avoir de présence sur le terrain, limitant l’accès aux archives cruciales (registres de prison, dossiers hospitaliers, etc.) et aux preuves médico-légales.
- Il devra s’appuyer sur des outils d’enquête à distance, l’imagerie satellite, et surtout, sur les témoins de la diaspora et les organisations de la société civile (OSC) qui travaillent discrètement en Afghanistan. La protection des témoins et des défenseurs des droits de l’homme est une préoccupation majeure, car même ceux en exil sont menacés.
Dépendance à la Compétence Universelle
L’efficacité de l’IIM-A dépend aussi de la volonté et de la capacité des États à poursuivre les cas de CU. Cette volonté est influencée par :
- La présence réelle ou potentielle de l’accusé dans la juridiction, bien que certains États (Argentine, Allemagne, France) puissent émettre des mandats en l’absence de l’accusé.
- Les priorités nationales des unités chargées des crimes de guerre, qui pourraient rester focalisées sur d’autres conflits (Syrie, Irak).
- La normalisation politique croissante de certains États européens avec l’IEA, motivée par des questions comme la migration, qui pourrait freiner l’appétit de poursuivre des responsables talibans. Inversement, les anciens responsables de la République, souvent en exil, pourraient devenir plus vulnérables aux enquêtes.
4. 🔑 Conclusion
L’IIM-A représente un tournant, passant de la simple surveillance à la constitution de dossiers judiciaires pour l’Afghanistan. Sa puissance réside dans sa portée exhaustive et sa capacité à centraliser les preuves. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un remède miracle. Son succès dépendra d’un financement stable et non affecté, d’une coopération équitable des États (notamment ceux qui ont eu des troupes) et de la stratégie de sélection de cas qu’il adoptera pour équilibrer son mandat ambitieux avec ses contraintes de ressources.
Son rôle est de stopper la perte de preuves, d’améliorer la qualité des dossiers et de maintenir ouvertes les options de justice pour les victimes, en attendant que les opportunités judiciaires ou politiques se matérialisent.
Rapport: Le Nouveau Mécanisme de Responsabilité pour l’Afghanistan (IIM-A)
Titre original : « A New Accountability Mechanism for Afghanistan: What the IIM-A can (and cannot) do »
**Auteur :** Jelena Bjelica | **Source :** Afghanistan Analysts Network
Consultez l’analyse exhaustive sur le mandat, la portée, les contributions potentielles et les limites du Mécanisme d’enquête indépendant pour l’Afghanistan (IIM-A) des Nations Unies.
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