Frères ennemis : l’Afghanistan et le Pakistan pris dans le piège du djihadisme d’État


Frères ennemis : l’Afghanistan et le Pakistan pris dans le piège du djihadisme d’État

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Depuis les années 1980, le Pakistan a tissé une toile d’alliances islamistes et de manipulations terroristes dans la région, usant de l’Afghanistan comme terrain d’expérimentation. Aujourd’hui, cette stratégie se retourne contre lui, tout comme elle ravage l’Afghanistan.

Parmi les confidences amères qui marquent les tournants historiques, celle du ministre pakistanais de la Défense, Khawaja Muhammad Asif, aura eu l’effet d’un séisme : « Nous avons fait ce sale boulot pour l’Occident. » À demi-mot, c’est une reconnaissance officielle : le Pakistan a soutenu pendant plus de trente ans les groupes jihadistes. Ce n’est pas une surprise pour les Afghans — mais c’est une confirmation capitale.

Lire aussi :
État des lieux des camps terroristes en Afghanistan et au Pakistan (mai 2025)

Le Pakistan, État schizophrène entre démocratie formelle et militarisme profond, a instrumentalisé la terreur pour asseoir ses ambitions régionales. Il a nourri et armé les Talibans, utilisé le territoire afghan comme tampon stratégique contre l’Inde, et transformé les madrasas de son territoire en pépinières de fanatisme. Cette politique d’« islamisme stratégique » a fini par engendrer un écosystème terroriste qui échappe désormais à son contrôle.

Une stratégie de profondeur qui s’est retournée

L’histoire est connue : au lendemain de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, le Pakistan, avec l’aval des États-Unis et le financement des pétromonarchies, devient l’arrière-base de la guerre sainte. C’est Islamabad, via son Inter-Services Intelligence (ISI), qui sélectionne, entraîne, équipe et distribue l’aide aux factions moudjahidines. Mais cette guerre ne s’arrête pas avec le retrait soviétique. Au contraire, elle se transforme.

Les années 1990 voient émerger les Talibans, soutenus logistiquement par Islamabad, abrités, formés et financés sur le sol pakistanais. Ce n’est pas uniquement une alliance idéologique : c’est une entreprise géopolitique. Pour le Pakistan, l’Afghanistan doit être un « État client », un glacis stratégique contre l’Inde. La frontière de la ligne Durand, jamais reconnue par Kaboul, est au cœur du différend. L’Afghanistan refuse depuis 1949 de reconnaître ce tracé hérité du colonialisme britannique.

Pour contraindre Kaboul à plier, le Pakistan utilise la déstabilisation. Aucun régime afghan, qu’il soit monarchique, communiste, islamiste ou démocratique, n’a été exempté des ingérences pakistanaises. La guerre des années 1980 a donc laissé place à une guerre civile dont le Pakistan est resté le marionnettiste de l’ombre.

Le double jeu pakistanais après le 11 septembre

L’ironie tragique atteint son sommet avec le 11 septembre 2001. Alors que les États-Unis déclarent la guerre au terrorisme, le Pakistan devient l’allié indispensable de Washington. Pourtant, Islamabad continue d’abriter les Talibans afghans tout en coopérant officiellement avec les Américains. Oussama Ben Laden lui-même est retrouvé, en 2011, à Abbottabad, à quelques kilomètres de l’académie militaire pakistanaise.

Ce double jeu a coûté cher. Les Talibans afghans, protégés, n’ont jamais été défaits. Le réseau Haqqani — leur bras armé le plus meurtrier — a continué ses attaques depuis le Pakistan, pendant que ce dernier recevait des milliards de dollars d’aide américaine. À cela s’ajoute l’émergence du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), version indigène et rebelle des Talibans, qui aujourd’hui attaque l’armée pakistanaise dans ses bastions frontaliers. En 2024, plus de 750 membres des forces de sécurité pakistanaises ont été tués.

L’arroseur arrosé ? Pas seulement. Le pays est confronté à 45 groupes terroristes actifs sur son territoire, issus en grande partie de la nébuleuse qu’il a lui-même semée dans les années 1980-1990. Il ne s’agit plus d’un problème d’exportation du djihad, mais d’un cancer intérieur.

Afghanistan : victime et foyer

L’Afghanistan, de son côté, paie le prix fort. Si la société afghane a été prise en étau entre l’intervention étrangère, la corruption des élites et la violence talibane, elle a aussi été la principale victime de l’« ingénierie terroriste » pakistanaise. Des dizaines de milliers de morts, des villes détruites, une économie ruinée, des femmes reléguées à l’invisibilité : tel est le legs des Talibans, créés et soutenus par Islamabad.

Même aujourd’hui, alors que les Talibans ont repris le pouvoir, les relations sont tendues. Le régime refuse de désarmer le TTP, entretient des liens avec l’Inde, et impose son propre agenda. Le Pakistan croyait avoir un gouvernement docile à Kaboul : il se retrouve avec un partenaire encombrant, autonome, et parfois hostile.

L’Afghanistan reste également le théâtre de rivalités entre groupes terroristes. L’État islamique au Khorasan (ISKP), autre produit indirect de la guerre globale contre le terrorisme, exploite les failles du régime taliban pour étendre sa violence. Le chaos sécuritaire alimente un cycle sans fin où les civils sont les premières victimes — comme le rappellent les rapports alarmants de l’ONU et les révélations de Sarah Adams sur les détentions arbitraires et les exécutions extra-judiciaires par les Talibans, sous prétexte de lutte contre l’ISKP.

La complicité de l’Occident et l’hypocrisie diplomatique

Il serait naïf de considérer que le Pakistan est seul responsable. Les États-Unis, la CIA et leurs alliés occidentaux ont soutenu, financé et formé ces groupes islamistes dans le cadre de leur croisade anticommuniste. L’objectif était clair : faire de l’Afghanistan le Vietnam de l’URSS. Cet objectif a été atteint — mais à quel prix ?

De même, l’obsession stratégique contre l’Iran ou la Russie a conduit Washington à maintenir son alliance avec le Pakistan, en dépit des preuves accablantes de son double jeu. Cette indulgence a coûté la guerre en Afghanistan.

Aujourd’hui, la rhétorique américaine évolue. Le rapport SIGAR de janvier 2025 rappelle que malgré les milliards de dollars dépensés, l’Afghanistan est redevenu un sanctuaire terroriste. Les Talibans détiennent des otages américains, abritent d’anciens responsables d’al-Qaïda, et exercent un pouvoir oppressif envers les femmes, les minorités et les anciens alliés des Occidentaux. Pourtant, sous prétexte de « stabilité », certains cercles occidentaux parlent de reconnaître de facto les Talibans.

Vers un changement de paradigme ?

Le Pakistan, aujourd’hui confronté à la spirale de violence qu’il a créée, ne pourra s’en sortir par les vieilles recettes. Il lui faudra démanteler le complexe politico-militaire qui permet aux services secrets de manipuler la politique étrangère. Il devra aussi faire le deuil de l’Afghanistan comme profondeur stratégique. C’est un voisin, pas un vassal.

Du côté afghan, la reconstruction ne pourra se faire sans une rupture avec les parrains du terrorisme. Cela implique une résistance politique, militaire et intellectuelle contre le régime taliban — mais aussi une exigence de vérité face aux responsabilités historiques du Pakistan.

La communauté internationale doit cesser d’acheter un silence temporaire par des aides conditionnées. Comme le montrent les derniers rapports de SIGAR (janvier et avril 2025), une partie importante des fonds humanitaires bénéficie aujourd’hui indirectement au régime taliban. Des millions de dollars versés à des ONG partenaires finissent en impôts, frais et « services » au profit des Talibans. Résultat : Washington suspend son aide. Mais cette décision, brutale et unilatérale, prive aussi des millions d’Afghans d’accès à la santé, à la nourriture et à l’éducation.

Conclusion : ni amnésie, ni complaisance

L’histoire des trente dernières années en Afghanistan et au Pakistan est une leçon amère sur les dangers du cynisme géopolitique. Faire du fanatisme un levier d’influence finit toujours par provoquer des retours de flammes. Le Pakistan, aujourd’hui, paie pour ses calculs passés. L’Afghanistan, lui, continue d’en subir les conséquences.

Reconstruire la paix passe par la fin de l’impunité des États manipulateurs, la reconnaissance des victimes — civiles, militantes, et démocrates — et la relance d’un soutien international qui distingue clairement entre aide humanitaire et légitimation des bourreaux.

La sécurité régionale et mondiale dépend d’un principe simple : ne plus jamais nourrir les monstres de la terreur pour des raisons d’opportunité.

🔹 Article principal analysé :

  • Zan Times, 13 mai 2025“The objectives and consequences of Pakistan’s three decades of support for terrorism” par Mohammad Qasim Erfani
    https://zantimes.com/2025/05/13/the-objectives-and-consequences-of-pakistans-three-decades-of-support-for-terrorism

🔹 Données sur le Pakistan et les groupes terroristes :

  • South Asia Terrorism Portal – Statistiques 2023–2025 sur les groupes actifs et les attaques contre les forces pakistanaises.

🔹 Rapports du SIGAR (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction) :

  • 30 janvier 2025, rapport trimestriel



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