De la Kalach au kilowatt : les Talibans branchent l’Afghanistan
De la Kalach au kilowatt : les Talibans branchent l’Afghanistan
Un investissement colossal dans un contexte complexe : Azizi, les Talibans et les Emirats Arabes Unis face au défi afghan
Le 2 août 2025, les Talibans ont annoncé la signature d’un memorandum of understanding (MoU) d’une valeur de 10 milliards de dollars avec Azizi Energy Company, une filiale du groupe contrôlé par Mirwais Azizi. D’après le Bakhtar News Agency, l’accord a été conclu à Kaboul entre le ministère taliban de l’Énergie et de l’Eau et Mirwais Azizi lui‑même, lors d’une cérémonie officielle Anadolu Ajansı+88am.media+8A News+8.
L’ampleur du projet
Ce contrat de grande résonance vise à produire, transmettre et distribuer 10 000 mégawatts d’électricité d’ici à 2032 grâce à un mix énergétique combinant charbon, gaz naturel, hydroélectricité, vent (700 MW) et solaire. Le projet sera développé à travers plusieurs provinces afghanes, avec une première phase entre 2 000 et 3 000 MW dans les six premiers mois, accompagnée d’enquêtes techniques préliminaires Anadolu Ajansı+9afintl.com+9Business Standard+9.
Selon les Talibans, ce plan monumental permettra à l’Afghanistan de devenir autosuffisant en énergie et d’exporter l’électricité à moyen terme. Ils assurent également la création directe ou indirecte de 150 000 emplois, dont 98 % seront assurés par des ressources locales. Un centre de formation technique sera même mis en place pour professionnaliser la main-d’œuvre afghane KabulNow+3Amu TV+3A News+3.
Mirwais Azizi : catalyseur économique sous influence émiratie
Mirwais Azizi, né en Afghanistan mais installé de longue date aux Émirats arabes unis, y a développé un empire diversifié (banque, immobilier, énergie). Il symbolise ce qu’on appelle la diaspora afghane prospère à Dubaï, bénéficiant d’un environnement économique stable, d’un climat fiscal généreux, et d’un accès privilégié aux marchés internationaux.
Les Émirats arabes unis jouent un rôle crucial dans cette dynamique. D’une part, ils constituent le principal lieu de résidence et de restitution des actifs de M. Azizi. D’autre part, ils offrent des cadres légaux et financiers qui permettent à son groupe d’opérer à l’international avec une relative aisance. Ce lien indirect entre Azizi et Abu Dhabi est un élément structurant : il définit son influence de l’étranger et sa capacité à mobiliser des capitaux – malgré les sanctions liées au régime taliban. En l’absence de reconnaissance internationale du régime afghan, ce positionnement aux EAU autorise Azizi à se présenter comme un investisseur global, neutre politiquement, mais pragmatiquement engagé dans le développement de l’Afghanistan.
Une relation pragmatique avec les Talibans
Jusqu’en 2021, aucun lien formel ni soutien politique entre Azizi et les Talibans n’était documenté. Il a construit sa fortune sous la République afghane post‑2001, aux côtés de gouvernements soutenus par les Occidentaux. Toutefois, la chute de Kaboul en août 2021 a bouleversé le paysage : la République s’effondre, ses élites fuient, les dettes bancaires explosent, et Mirwais Azizi choisit de négocier la continuité de ses activités dans un Afghanistan désormais gouverné par l’Émirat islamique. Des dialogues s’ouvrent en coulisse, et le milliardaire commence à apparaître comme un investisseur coopératif avec le nouveau pouvoir KabulNowBusiness Standard.
Cette relation est le fruit d’un calcul pragmatique : les Talibans manquent de capitaux et de compétences techniques pour reconstruire une économie exsangue. Azizi leur offre les deux : argent, expertise et réseaux. De leur côté, les Talibans lui garantissent accès au marché intérieur, protection de ses actifs, et visibilité publique, ce qui lui donne une légitimation face à l’opinion afghane et internationale.
Pourquoi les Émirats sont-ils au centre ?
Les Émirats arabes unis servent à la fois de base financière et de vitrine symbolique pour Mirwais Azizi. Sa présence à Dubaï – où il réside et investit – le place en dehors du système des sanctions directes contre le régime taliban, tout en lui permettant de conserver des liens solides avec des milieux économiques émiratis et internationaux. Ce rôle est crucial pour expliquer comment il parvient, malgré l’isolement de l’Afghanistan, à mobiliser un projet de cette envergure.
De plus, les Émirats ont accueilli plusieurs élites afghanes, et Dubaï est devenue un hub central pour les affaires afghanes, ce qui renforce la capacité d’Azizi à faire converger les investisseurs, même si nombreux restent prudents tant que le régime taliban n’est pas reconnu officiellement. Azizi a d’ailleurs déclaré qu’il financerait personnellement une grande partie du projet faute de partenaires institutionnels Amu TV+2KabulNow+2Hürriyet Daily News+2.
Contrat énergétique : espoir ou mirage ?
Ce contrat de 10 milliards USD, signé le 2 août 2025, est présenté par les Talibans comme leur plus grand succès économique depuis 2021. Un défi de taille : produire 10 000 MW en 7 à 10 ans pour 40 % de couverture actuelle électrique et dépendances importées massives, c’est voir grand. La promesse d’emploi, d’exportation et de croissance semble séduisante, mais elle repose sur des plans ambitieux dans un contexte instable sur les plans financier, sécuritaire et institutionnel KabulNow+1A News+1.
Jusqu’à présent, plusieurs engagements antérieurs d’Azizi – comme un hôpital de 500 M USD à Kaboul – n’ont pas donné de résultats concrets six mois après l’annonce. Le scepticisme est donc fort : les projets passés n’ont guère dépassé le stade de la communication afintl.comBusiness Standard.
En outre, l’absence de reconnaissance internationale du régime taliban, le gel des avoirs de la banque centrale et les sanctions contre l’Afghanistan réduisent d’autant la crédibilité de l’entreprise : où trouver l’assurance qu’un tel projet sera financé, livré et opéré sans interruption ?
Enjeux géopolitiques et symboliques
Sur le plan symbolique, ce contrat offre aux Talibans une légitimité économique et médiatique. Montrer que des hommes d’affaires afghans de renom investissent sur le sol national permet de contrer la narrative d’un Afghanistan paria. Azizi devient dès lors un cautionneur économique privé, utilisé pour attirer d’autres investisseurs.
Pour les Émirats, cela représente un pivot discret mais stratégique. Soutenir indirectement Azizi – sans s’engager officiellement – permet d’avoir une influence économique dans la reconstruction afghane, tout en maintenant une posture d’engagement pragmatique et distant vis-à-vis du régime.
Pour Mirwais Azizi, ce contrat constitue un pari risqué mais potentiellement historique. S’il est mené à bien, il le propulsera comme l’un des grands bâtisseurs d’une infrastructure énergétique afghane moderne. Mais en cas d’échec, il risque d’être accusé d’avoir joué le rôle d’outil de propagande talibane, et son empire, notamment la banque privé Azizi Bank, pourrait pâtir d’une perte de réputation.
Vers un Afghanistan durable ?
Le projet d’Azizi Energy représente un tournant stratégique : il pourrait transformer le profil énergétique national, augmenter les revenus publics (diminution des imports), renforcer l’industrie et le secteur agricole, et surtout générer de l’emploi dans un pays frappé par le chômage et la migration forcée. La promesse – 150 000 emplois, formation locale – répond à un besoin vital pour la jeunesse afghane et la rétention des talents afintl.comAmu TVBusiness Standard.
Mais la clé du succès n’est pas uniquement technique ou financière : elle repose sur la volonté politique des Talibans de garantir stabilité, sécurité juridique, transparence et inclusion, notamment sur les droits des femmes – un point sur lequel ni Azizi ni les autorités talibanes ne se sont explicitement engagés.
Le contrat signé récemment entre Azizi Energy et le gouvernement taliban incarne la parfaite convergence d’un intérêt économique privé (Azizi, basé aux Émirats) et d’une quête de légitimation politique économique (Talibans isolés sur la scène internationale). Ce mariage pragmatique soulève autant d’espoirs que de doutes : il peut marquer une étape vers la reconstruction économique de l’Afghanistan, ou devenir un exemple de promesse déçue.
Mirwais Azizi incarne l’homme d’affaires afghan capable de naviguer entre Dubaï et Kaboul, de financer un projet colossal malgré l’incertitude, et de jouer un rôle central dans l’Afghanistan des Talibans. Les Émirats arabes unis, en tant que base de ses opérations, ajoutent un niveau de protection, de crédibilité et d’accès aux capitaux.
Mais ce pacte énergétique ne sera jugé qu’à l’aune des kilowatts effectivement produits, des milliers de familles employées, et des infrastructures fonctionnelles livrées. Sans cela, il restera un coup de communication plutôt qu’un véritable moteur de développement national.
À suivre donc avec vigilance : car l’avenir de ce projet dépendra autant de la ténacité de Mirwais Azizi que de la capacité du régime taliban à honorer ses engagements sans trahir les attentes de ses compatriotes.
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