Extorsion financière et sexuelle des coiffeuses afghanes par les talibans
Les coiffeuses sont menacées de poursuites pour “promotion de l’immoralité et de la prostitution” si elles refusent de verser des pots-de-vin.
Par Mukhtar Wafayee, 15 mai 2025
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Après que le chef des talibans a publié un décret interdisant les salons de beauté pour femmes et ordonné leur fermeture, de nombreuses femmes qui avaient investi dans ces commerces et n’avaient aucune autre source de revenu ont continué à travailler clandestinement depuis leur domicile. En réponse, les forces de sécurité talibanes ont commencé à perquisitionner ces domiciles et à exiger des pots-de-vin en argent et en nature de la part des coiffeuses en échange de leur droit à continuer leur activité.
Des sources à Kaboul ont confié à Independent Persian que, bien que le décret interdisant les salons de beauté féminins ait été officiellement appliqué en juillet 2023 (Tir 1402), de nombreuses femmes ont déplacé leur matériel chez elles et poursuivent leur activité en secret.
Cette économie souterraine a offert aux commandants talibans — en particulier ceux liés à la sécurité et au “contrôle régional” — une occasion d’identifier et de cibler ces femmes. Une fois les domiciles repérés, les commandants exigent des pots-de-vin financiers et sexuels pour permettre la poursuite de leurs activités.
Selon les mêmes sources, les femmes sont menacées : si elles refusent de payer, leurs activités seront non seulement arrêtées et leur matériel confisqué ou détruit, mais elles risquent également des poursuites judiciaires sous l’accusation de “promotion de l’immoralité et de la prostitution”.
Une source du district 13 de Kaboul a rapporté qu’un certain Mawlawi Haqqani, responsable du “contrôle régional” dans ce district, extorque des dizaines de coiffeuses depuis plus d’un an.
D’après cette source, Haqqani identifie les domiciles où des femmes travaillent comme coiffeuses, souvent avec l’aide de représentants locaux. Il leur annonce ensuite que leur activité est illégale, qu’elle doit cesser immédiatement, et qu’elles s’exposent à de lourdes amendes. Grâce à l’intimidation, il les contraint à verser des paiements mensuels en espèces allant de 3 000 à 5 000 afghanis, en plus d’exiger des faveurs sexuelles.
Interdiction des salons de beauté : “Empêcher les actes non islamiques”
La source précise que le district 13 est majoritairement pauvre et ne présente pas de problèmes sécuritaires majeurs. En conséquence, Mawlawi Haqqani a chargé un de ses soldats de collecter l’argent auprès des coiffeuses chaque jour. Il arrive aussi que ce soldat exige qu’une des femmes ou même une cliente soit disponible pour des relations sexuelles.
Une autre source, coiffeuse dans le quartier de Pul-e-Sourkh à Kaboul, confirme que la plupart des femmes travaillent désormais à domicile. Elle affirme que la possibilité de continuer à exercer dépend du montant des pots-de-vin versés aux commandants talibans.
Cette femme, active dans le secteur de la beauté depuis 2017, explique que si certains commandants ferment les yeux, d’autres — notamment ceux du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice — les extorquent activement. Elle ajoute que travailler depuis chez soi implique aussi de pratiquer des tarifs plus bas, car la majorité de leurs clientes sont en grande difficulté financière.
“Le décret du chef taliban a ouvert la voie à la corruption et à l’extorsion des femmes”, déclare-t-elle.
L’application du décret de Mollah Hibatullah Akhundzada, interdisant les salons féminins, a provoqué une vive indignation parmi les femmes et les organisations de défense des droits humains. Les talibans ont néanmoins fermé les salons au motif que les “principes islamiques n’y étaient pas respectés”.
Le ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, chargé de faire respecter les normes religieuses du régime, a publié un communiqué déclarant que les salons de beauté favorisaient les dépenses excessives lors des mariages et autres célébrations.
Pourtant, une source du district 13, chargée de surveiller les activités clandestines des salons à domicile et les pratiques d’extorsion financière et sexuelle par les responsables talibans, souligne que de nombreuses femmes sont rejetées par leur propre famille en raison de leur métier. D’autres n’ont tout simplement aucun autre moyen de gagner leur vie, même si cela implique de verser des pots-de-vin. Selon cette source, le décret du chef taliban, censé mettre fin aux actes “immoraux”, a au contraire donné lieu à une corruption systémique et à des abus répétés.
On ignore le nombre exact de femmes travaillant aujourd’hui dans des salons clandestins à domicile en Afghanistan. Toutefois, selon les anciens rapports de la Chambre de commerce et d’industrie d’Afghanistan, plus de 60 000 femmes ont perdu leur emploi après l’interdiction.
Des rapports antérieurs provenant de plusieurs villes du pays, notamment de Sar-e Pol dans le nord, ont confirmé que les agents du ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice ont mené des perquisitions, détruit du matériel de salon et référé certaines femmes aux instances judiciaires talibanes.
La Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) a fermement condamné les actions des talibans à Sar-e Pol dans un rapport sur la situation sécuritaire et les droits humains dans le pays, y voyant une violation de la vie privée et une nouvelle restriction aux droits des femmes.
à propos de l’auteur
Mukhtar Wafayee est un journaliste afghan reconnu pour ses enquêtes approfondies sur les questions de sécurité et les droits des femmes en Afghanistan. Il publie régulièrement des articles sur son site personnel, Afghanistan Uncensored.
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