Un legs toxique : cancers et radioactivité

Hausse alarmante des cancers en Afghanistan : l’héritage toxique passé sous silence
Au lendemain de décennies de conflit, l’Afghanistan fait face à une crise sanitaire multiforme. Un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en lumière une augmentation inquiétante des maladies chroniques et des troubles psychologiques dans le pays. Ces nouvelles données soulignent l’ampleur du drame, particulièrement chez les femmes, tout en laissant entrevoir un facteur sous-jacent longtemps ignoré : la pollution toxique laissée par la guerre.
L’avertissement de l’OMS sur la santé des Afghanes
Les chiffres publiés par l’OMS dressent un tableau sombre :
• Cancers féminins en forte hausse, notamment du sein et du col de l’utérus.
• Diagnostic tardif, réduisant l’efficacité des traitements.
• Environ 40 000 décès annuels liés aux maladies cardiovasculaires.
• Explosion des troubles psychologiques : plus de la moitié des familles revenues d’exil sont touchées.
• Réémergence de maladies transmissibles comme le paludisme.
Le représentant de l’OMS en Afghanistan, Edwin Ceniza Salvador, rappelle que des millions de personnes vivent avec le poids quotidien de ces maladies, ce qui exerce une pression énorme sur un système de santé déjà fragile.
Un système de santé au bord de l’effondrement
Des années de guerre ont détruit les infrastructures médicales. Depuis la prise de pouvoir des talibans en 2021, la situation s’est aggravée : suppression de financements internationaux, restrictions imposées aux femmes, fuite de personnels qualifiés.
Dans certaines provinces, les femmes n’ont plus le droit d’être examinées par des hommes, tandis que la formation de nouvelles soignantes est interdite. Résultat : bon nombre d’Afghanes atteintes de cancers ou de maladies graves n’ont tout simplement pas accès aux soins. Les retards de prise en charge se révèlent souvent fatals.
La faiblesse des dépenses publiques, dépendantes de l’aide étrangère, et l’exode des professionnels entraînent un cercle vicieux : diagnostics tardifs, traitements insuffisants, mortalité évitable en hausse.
Les ravages de la pollution laissée par la guerre
Au-delà de la défaillance du système de santé, un ennemi invisible ronge la population : la pollution environnementale héritée des conflits successifs. Chaque guerre en Afghanistan a laissé une empreinte écologique durable. L’utilisation d’armes à uranium appauvri a disséminé des déchets radioactifs sur de vastes zones. Munitions non explosées, métaux lourds et composés toxiques contaminent l’eau, l’air et les sols.
Dès 2015, certains lanceurs d’alerte, comme Thierry Lamireau, ont mis en garde contre ce “legs radioactif ignoré”. Dans son article « Ce que personne ne dira – Afghanistan : tout le monde s’en va, sauf les talibans… et la radioactivité », il avertissait que le retrait des troupes étrangères ne ferait pas disparaître la contamination. Les particules d’uranium appauvri restaient dans le sol, menaçant silencieusement les communautés pour les décennies à venir.
Pour en savoir plus : déchets toxiques radioactifs
Vous pouvez lire les rapports très détaillés de Thierry Lamireau :
Des études ultérieures ont montré que certaines régions, comme Kaboul, présentent une radioactivité naturelle élevée (uranium, thorium), aggravée par les combats. Les maisons construites sur ces sols émettent du radon bien au-delà des seuils de sécurité, augmentant le risque de cancers pulmonaires. Dès 2017, de nombreux Afghans considéraient la toxicité de l’environnement comme une menace plus grave que les talibans eux-mêmes.
Richard Bennett, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains en Afghanistan, le confirme : la dégradation environnementale causée par la guerre est une crise des droits humains largement ignorée. L’eau, le sol et l’air sont pollués par des substances explosives non nettoyées depuis des dizaines d’années, affectant particulièrement les enfants. Tous les belligérants portent une responsabilité.
Ne pas taire la cause d’un désastre sanitaire
L’alerte de l’OMS sur la hausse des cancers féminins devrait être un électrochoc. Pourtant, aucune explication officielle ne pointe clairement les causes de ce fléau. On constate, on chiffre, mais on ne nomme pas l’éléphant dans la pièce.
Comment élaborer des solutions sans affronter la réalité ? Oui, le système de santé est débordé et sous-financé. Oui, les restrictions socio-politiques privent des milliers de femmes de soins. Mais nier l’impact des pollutions de guerre reviendrait à occulter une part essentielle du problème.
Aujourd’hui, l’Afghanistan subit un désastre sanitaire aux multiples facettes. Les maladies chroniques comme le cancer et les cardiopathies tuent en silence plus sûrement que les balles. Les troubles psychologiques rongent une population traumatisée. Et la terre elle-même, empoisonnée, continue d’ensemencer maladies et morts longtemps après la fin des combats.
Un impératif de justice et de responsabilité
Cette situation appelle une prise de conscience internationale. Les anciens belligérants ont une responsabilité morale – et potentiellement juridique – dans la contamination des territoires. Ils doivent contribuer à la dépollution des zones touchées et au renforcement du système de santé.
Des voix s’élèvent déjà pour réclamer une justice environnementale. Des experts plaident pour des mécanismes de réparation au profit des communautés affectées. De même, la restauration d’un accès universel aux soins doit redevenir une priorité, ce qui implique de soutenir les professionnels hommes et femmes, et de lever les entraves qui empêchent les patientes d’être soignées.
Briser le silence
En 2025, il est temps de nommer les choses. Les cancers qui endeuillent les familles afghanes ne sont pas une fatalité : ce sont les conséquences directes et indirectes de décisions politiques, de choix militaires et de silences institutionnels. Du champ de bataille aux rapports officiels, l’histoire a laissé un poison dans le sol – et dans les corps.
L’OMS a tiré le signal d’alarme. Désormais, il ne suffit plus de compter les victimes. Il faut avoir le courage d’en nommer la cause, d’exiger des comptes et d’agir enfin. Parce que le véritable héritage de la guerre ne se voit pas toujours dans les ruines… mais dans les cellules humaines qui se transforment en cancer.
📚 Bibliographie & Sources
OMS/EMRO — Afghanistan’s hidden epidemic of noncommunicable diseases and mental health conditions (21 Sep 2025)
IARC/WHO — GLOBOCAN 2022 Afghanistan (Fact Sheet, PDF)
IARC — CanScreen5 Country factsheet (Afghanistan)
Human Rights Watch — Afghanistan’s Taliban Ban Medical Training for Women (03 Dec 2024)
OHCHR — Special Rapporteur Report A/HRC/59/25 (16 Jun 2025)
OMS/EMRO — Afghanistan country page (MNT & 40,000 décès cardio/an)
PubMed (2025) — Radon in Kabul dwellings
IAEA/INIS — Environmental radioactivity (Kabul & Nord Afghanistan)
Scientific American — U.S. Forces Are Leaving a Toxic Environmental Legacy in Afghanistan (30 Aug 2021)
Responsible Statecraft — Afghanistan’s Environmental Hellhole (21 Apr 2025)
Lamireau, Thierry — Ce que personne ne dira – Afghanistan : tout le monde s’en va, sauf les talibans… et la radioactivité (01 Jan 2015)
8am.media — Taliban Ban Women from Receiving Dental Treatment by Male Doctors (25 Sep 2025)
Al Arabiya English — Taliban Ban Women from Visiting Male Dentists in Afghanistan’s Kandahar (25 Sep 2025)










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