Afghanistan : la soif des villes, une crise annoncée

Cet article est une note de synthèse du rapport https://www.afghanistan-analysts.org/en/wp-content/uploads/sites/2/2025/09/20250918-Urban-Water-FINAL.pdf de Mohammad Assem Mayar pour Afghanistan Analysts
L’eau, un bien vital qui s’évapore
Autrefois perçue comme une ressource abondante, l’eau souterraine afghane est aujourd’hui au cœur d’une crise urbaine sans précédent. Kaboul, capitale saturée par sa démographie galopante, pourrait être à sec d’ici 2030. Mais la catastrophe ne se limite plus à Kaboul : Kandahar, Hérat, Mazar-e Charif, Jalalabad ou Zaranj affrontent des pénuries chroniques, des réseaux intermittents, des puits taris et des citernes hors de prix. Cette réalité frappe en premier lieu les plus pauvres, condamnés à consacrer une part démesurée de leurs revenus pour accéder à quelques bidons d’eau.
Une crise fabriquée par l’homme
Le rapport de l’Afghanistan Analysts Network le rappelle avec force : l’Afghanistan n’est pas un pays pauvre en eau. Avec 55 milliards de m³ de ressources de surface et 10 milliards m³ souterrains, le problème est moins la quantité que l’incapacité à gérer, distribuer et protéger ce bien commun. Quatre facteurs se combinent et s’alimentent mutuellement : le changement climatique qui réduit l’enneigement et accélère la fonte des glaciers ; la croissance urbaine (4 % par an) qui multiplie les besoins ; l’urbanisation sauvage tolérée par les autorités successives, sans réseau d’eau ni d’égouts ; enfin, l’indifférence des élites qui, creusant toujours plus profond, s’achètent une exemption individuelle au détriment de l’intérêt collectif.
Institutions éclatées, responsabilités diluées
Le désordre administratif est à l’image de l’urbanisme anarchique. L’Afghanistan Urban Water Supply and Sewerage Corporation (AUWSSC), censée être le pilier national, n’opère que dans 22 villes, souvent avec un personnel réduit et des moyens dérisoires. Le ministère du Développement rural gère tant bien que mal les petites villes et villages, mais sans mécanisme de facturation ni modèle durable. Les municipalités interviennent dans les routes, les canalisations et l’assainissement, mais sans coordination. Résultat : des routes refaites puis détruites pour poser des tuyaux, des projets en double, et surtout une incapacité à planifier. L’eau, bien public vital, est devenue orpheline d’une véritable gouvernance.
Le poids de l’informel et des inégalités
Dans l’absence d’un système fiable, les citadins creusent des puits, installent des fosses septiques et se tournent vers des camions-citernes privés. Les plus riches lavent leurs voitures, arrosent leurs pelouses et s’achètent des forages plus profonds. Les plus pauvres boivent une eau douteuse ou dépensent jusqu’à 30 % de leurs revenus pour quelques jerricans. L’inégalité est abyssale : à Kaboul, une minorité achète sa sécurité hydrique, tandis que la majorité s’endette ou tombe malade. L’eau n’est plus un bien commun : elle est devenue un marqueur social.
L’angle mort de l’assainissement
Si la pénurie est dramatique, la pollution est tout aussi alarmante. À Kaboul, 80 % des eaux souterraines sont contaminées par les fosses septiques mal construites, les eaux usées et les produits chimiques. L’absence d’égouts et de stations de traitement transforme les nappes phréatiques en cloaques invisibles. Les maladies hydriques se multiplient, frappant en priorité les enfants et les personnes âgées. Pourtant, le volet sanitaire reste largement absent des plans officiels, relégué derrière la simple fourniture d’eau.
Quand le privé se substitue à l’État
Face à l’incurie publique, certains promoteurs ont tenté des solutions locales : Aino Mena à Kandahar ou Omid Sabz à Kaboul disposent de réseaux autonomes, avec traitement et tarification. Mais ces modèles restent réservés à une élite capable de s’offrir des quartiers fermés. Et même dans ces enclaves, la dépendance aux nappes phréatiques reproduit les mêmes fragilités. Loin d’être une solution durable, le recours au privé accentue la fragmentation et creuse les inégalités urbaines.
Les pistes de solutions
Le rapport identifie des solutions techniques connues et applicables :
- la recharge artificielle des nappes (Managed Aquifer Recharge) ;
- la récupération des eaux pluviales par des aménagements urbains intelligents ;
- la taxation des industries extractrices (boissons, glace) et l’obligation de réutilisation des eaux ;
- la construction de barrages comme Shah wa Arus et Shah Tut pour diversifier l’approvisionnement ;
- l’introduction d’une tarification progressive incitant à l’économie.
Mais sans réforme institutionnelle – clarification des responsabilités, intégration de l’eau à l’urbanisme, obligation de raccordement aux réseaux – ces solutions resteront des rustines. L’urgence est moins technique que politique.
Une crise existentielle
La conclusion du rapport est sans appel : l’Afghanistan ne manque pas d’eau, il manque de volonté et d’organisation. Le changement climatique a accéléré une crise produite par des décennies d’aveuglement, d’improvisation et d’inégalités. L’eau urbaine est devenue un miroir de l’État : fragmenté, impuissant, capturé par les intérêts privés. Laisser perdurer cette situation, c’est condamner les villes à la soif, les familles à la ruine et les enfants à la maladie. L’inaction n’est plus une option : l’eau doit devenir une priorité nationale, faute de quoi Kaboul et d’autres villes risquent de rejoindre le sinistre club des capitales modernes à sec.










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