[t4b-ticker]

Menaces terroristes opportunes et isolement des États-Unis en Asie

Pourquoi les rapports sur les menaces terroristes surgissent-ils maintenant ?

Il est frappant de constater qu’au moment où Donald Trump, revenu à la Maison-Blanche, évoque la reprise de la base de Bagram en Afghanistan, des communiqués et analyses sur la menace d’Al-Qaïda et de l’État islamique apparaissent avec insistance dans l’espace public américain. Le calendrier mérite attention. Le 18 septembre 2025, Trump déclarait publiquement que « de mauvaises choses arriveraient à l’Afghanistan » si la base de Bagram n’était pas rendue aux États-Unis. L’annonce a immédiatement placé l’Afghanistan au centre de l’agenda sécuritaire américain. Dans la foulée, le Centre national antiterroriste (NCTC), sous l’autorité de l’Office du Directeur du Renseignement national (ODNI), a diffusé un rapport non classifié aux forces de l’ordre et aux premiers intervenants, insistant sur la persistance de menaces venues d’Al-Qaïda. Dans le même temps, des canaux médiatiques spécialisés ont relayé de nouveaux appels de l’État islamique à lancer des attaques de type « loup solitaire » aux États-Unis et en Europe.
Ce regain d’alerte tranche avec la relative discrétion des services de renseignement américains au cours des trois dernières années. L’ONU n’a cessé d’alerter sur la reconstitution d’Al-Qaïda en Afghanistan depuis 2021, avec des rapports successifs au Conseil de sécurité confirmant la présence d’Ayman al-Zawahiri puis de ses successeurs, ainsi que l’intégration des réseaux dans le tissu du régime taliban. Pourtant, ces avertissements étaient restés en marge de l’agenda politique américain. La situation change brutalement en septembre 2025 : le spectre terroriste est remis en avant, dans un discours qui souligne à la fois la vulnérabilité du territoire américain et l’urgence d’agir.
La coïncidence entre les annonces présidentielles et la communication sécuritaire n’est pas anodine. Elle traduit un alignement narratif : d’un côté, la volonté politique de réaffirmer une présence militaire en Asie centrale ; de l’autre, la justification sécuritaire qui désigne l’Afghanistan comme foyer de menace. En pratique, ce double mouvement crée une atmosphère propice à l’acceptation d’une révision de la politique américaine. Ce qui, hier encore, apparaissait comme une page tournée — la fin de la guerre en Afghanistan — se retrouve requalifié en urgence nationale.

La mise en scène d’un prétexte

L’intensification soudaine du discours sécuritaire invite à une lecture critique. Accuser le chien d’avoir la rage est souvent le moyen le plus commode de justifier son élimination. Cette formule illustre parfaitement la situation actuelle : la menace terroriste, bien réelle mais connue depuis des années, est désormais brandie comme justification d’une reprise d’initiative militaire et politique.
Les documents officiels insistent sur plusieurs points. Le NCTC, sous l’autorité du directeur Joe Kent, souligne que les politiques du président Trump auraient rendu l’Amérique « plus préparée que jamais » à faire face à la menace. Le communiqué mentionne même un cas spectaculaire : l’arrestation d’un terroriste lié à Al-Qaïda entré sur le sol américain via l’application CBP One sous l’administration Biden. Cet exemple sert autant à illustrer un risque qu’à pointer du doigt l’échec du camp politique adverse. La menace devient ainsi un outil de communication, destiné à consolider la légitimité de l’administration actuelle.
De son côté, la propagande de l’État islamique, relayée par des médias spécialisés, en appelle aux fidèles pour cibler les Juifs, les chrétiens et leurs alliés, en utilisant tous les moyens possibles : explosifs, couteaux, armes à feu, véhicules. L’appel suit une logique éprouvée de communication jihadiste : glorification d’attaques passées, abaissement du seuil d’action par la valorisation d’armes simples, et incitation à la radicalisation autonome. Or, le fait que ces messages soient largement médiatisés au même moment accentue l’impression d’une montée soudaine du danger.
L’articulation entre discours officiel et propagande ennemie produit un effet de loupe. Elle suggère que le territoire américain est de nouveau exposé, que la guerre « là-bas » a des conséquences « ici », et qu’il faut agir vite. Cette dramatisation, qu’elle corresponde ou non à une aggravation objective du risque, crée les conditions politiques d’une reprise d’action. Elle permet à l’exécutif de rallier l’opinion, d’obtenir le soutien des élus, et de contourner la lassitude de la population vis-à-vis des guerres lointaines. La menace terroriste devient donc un prétexte commode pour justifier un retour en force en Afghanistan, en dépit de la mémoire douloureuse du retrait de 2021.

Isolement stratégique des États-Unis et recomposition régionale

Le cadre régional a profondément évolué depuis 2021, et il contribue à expliquer la nervosité américaine. Le Pakistan, partenaire historique de Washington dans la guerre d’Afghanistan, s’est récemment rapproché de l’Arabie saoudite par la signature d’un pacte de défense mutuelle. Cet accord, conclu en septembre 2025, stipule qu’une agression contre l’un sera considérée comme une agression contre l’autre. Il scelle une alliance militaire qui échappe au parapluie américain et qui, potentiellement, offre à Riyad un accès indirect à la dissuasion nucléaire pakistanaise. Pour Washington, cette évolution est préoccupante : elle traduit une perte d’influence sur un acteur clé, situé à la frontière afghane, et historiquement indispensable pour toute stratégie régionale.
Parallèlement, la Chine a consolidé ses positions. Pékin a investi massivement dans l’exploitation des ressources afghanes, notamment à travers le projet géant de cuivre de Mes Aynak et dans d’autres secteurs miniers stratégiques. La Chine cherche ainsi à sécuriser des approvisionnements essentiels pour ses industries de haute technologie, tout en s’affirmant comme le premier partenaire économique du régime taliban. Elle s’installe dans le vide laissé par les Occidentaux, gagnant en influence politique et en capacité de pression sur Kaboul.
Dans ce contexte, les États-Unis apparaissent isolés. Leur capacité à influencer la trajectoire afghane est limitée, leurs anciens partenaires régionaux diversifient leurs alliances, et leurs adversaires stratégiques progressent. Cette solitude stratégique peut expliquer la volonté de Trump de reprendre Bagram : disposer d’un point d’appui militaire permettrait non seulement de répondre aux menaces terroristes, mais aussi de réaffirmer une présence face à la Chine et de rappeler au Pakistan que Washington conserve des leviers d’action.
À ces considérations géopolitiques s’ajoute un facteur financier et politique interne : la possibilité pour Washington de mettre fin à une obole hebdomadaire estimée à 40 millions de dollars versée au régime taliban via des mécanismes humanitaires ou de stabilisation. Ces flux, opaques et contestés, continuent malgré une loi votée au Sénat interdisant tout financement à des entités terroristes. Pour l’administration, mettre un terme à ces transferts représente à la fois un gain budgétaire et un avantage symbolique : cesser de « nourrir » un régime honni. Cela fournit un argument supplémentaire pour durcir la posture, voire pour justifier une reprise de contrôle direct de certains leviers sur le terrain.
Ainsi, l’isolement stratégique américain en Asie s’articule avec la nécessité de redorer une crédibilité entamée. Le pari est risqué : une action unilatérale pourrait tendre les relations avec Riyad, Islamabad et Pékin. Mais l’alternative — rester spectateur d’une recomposition régionale défavorable — expose Washington à une marginalisation stratégique durable. D’où la tentation d’un retour offensif, habillé du langage de la lutte contre le terrorisme, mais motivé par un ensemble d’objectifs plus larges : sécuritaires, économiques et symboliques.


SOURCES

– Rapport du Secrétaire général de l’ONU A/80/366 – S/2025/554 (doc officiel et notice ReliefWeb). docs.un.org+1
– Déclarations de Donald Trump et réactions : Reuters (19 sept.), Al Jazeera (21 sept.). Reuters+1
– Communiqué ODNI/NCTC (19 sept.). dni.gov
– Avertissements pakistanais au CSNU : Dawn et Arab News. dawn.com+1
– Analyse talibans–Pakistan (8am.media). 8am.media
– Flux financiers humanitaires (~40 M$/semaine) : SIGAR 2025, note d’info ONU/UNAMA, analyses récentes. sigar.mil+2



Comments are closed