[t4b-ticker]

CORRIDOR DE SÉCURITÉ PAKISTAN AFGHAN : ENTRE FRONTIÈRES ET FRÈRES

www.linkedin.com /pulse/pak-afghan-security-corridor-between-borders-dawar-ybi4f/

CORRIDOR DE SÉCURITÉ PAKISTAN AFGHAN : ENTRE FRONTIÈRES ET FRÈRES

Analyses sur les risques de sécurité

Longue file d’attente de camions à la frontière Torkham, Pakistan et Afghanistan

Ingénieur Mohammad Faheem Khan Dawar

Ingénieur Mohammad Faheem Khan Dawar

Professionnel de la sécurité et de la gestion des risques des Nations Unies | Intégrateur politique-gouvernance | Certifié UNDSS | Expérience de terrain au Pakistan, dans la région MENA et en Asie du Sud-Est

27 octobre 2025

C’est une frontière où la parenté rencontre le conflit, où les tribus partagent des lignées, mais la politique fait des barrières. Le long de la ligne Durand de 2640 kilomètres, des familles pachtounes divisées parlent encore la même langue, célèbrent les mêmes festivals et se marient au-delà d’une frontière invisible. Pourtant, la même fraternité qui unissait autrefois les cœurs est devenue otage de l’histoire, de la géopolitique et de la méfiance.

La ligne Durand : de la cartographie coloniale à la crise contemporaine

La ligne Durand a été officialisée en 1893 entre M. Mortimer Durand de l’Inde britannique et l’émir Abdur Rahman Khan d’Afghanistan, délimitant les sphères d’influence entre les empires britannique et afghan. Elle a divisé les territoires pachtounes qui devinrent plus tard partie de la province de la frontière nord-ouest de l’Inde britannique (aujourd’hui Khyber Pakhtunkhwa) et du nord du Baloutchistan, conçue comme un tampon contre l’expansion russe. [1]

Les souverains afghans successifs contestèrent cette démarcation. Le roi Amanullah Khan (1919–1929) l’a déclaré nulle après le retrait britannique, exigeant l’unification des tribus pachtounes. Ses successeurs, le roi Zahir Shah et le président Mohammad Dawood Khan, continuèrent à défendre la cause pachtounistane, maintenant les tensions vivantes. Lorsque le Pakistan a obtenu son indépendance en 1947, l’Afghanistan a été le seul pays à voter contre son adhésion à l’ONU, invoquant la question frontalière non résolue. [2]

L’invasion soviétique de 1979 a transformé la frontière en une ligne de fracture mondiale. Des millions de réfugiés afghans sont entrés au Pakistan, les armes et l’idéologie circulaient dans les deux sens. Au cours des années 1980, le Jihad soutenu par les États-Unis a enraciné des réseaux militants qui ont survécu bien après la guerre froide. Plus tard, le président Mohammad Najeebullah, qui cherchait la réconciliation, a été brutalement exécuté par les talibans en 1996, symbolisant l’effondrement de l’Afghanistan dans une guerre factionnelle. La frontière tribale, autrefois définie par la fraternité, était devenue un champ de bataille idéologique. [3]

La Confrérie de l’autre côté de la frontière :

Malgré les frontières des États, la ceinture pachtoune reste l’une des géographies humaines les plus intégrées au monde. Les communautés de Khost, Nangarhar et Kandahar reflètent celles du Waziristan, Kurram, Khyber, Peshawar, Killa Abdullah, Chaman et Quetta, partageant ascendance, culture et parenté. Les mariages transfrontaliers et le commerce informel prospérent encore, défiant la politique et le fil barbelé.

Pourtant, cette fraternité s’est révélée à double tranchant. Pour les familles locales, cela préserve la continuité culturelle, pour les insurgés, cela permet une mobilité discrète. Le Pakistan considérait historiquement l’ancienne FATA (aujourd’hui les districts tribaux fusionnés du KP) comme une zone tampon de sécurité, absorbant les chocs de l’Afghanistan tout en projetant son influence vers l’ouest. Au fil des décennies, cela a créé un vide de gouvernance, exploité par des militants et des réseaux criminels.

Des tensions parallèles ont coulé au Baloutchistan, où le régime taliban de facto actuel en Afghanistan (TTA) maintient un alignement idéologique avec le Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) dans le nord du Baloutchistan. Dans le Baloutchistan central, méridional et occidental, la marginalisation politique et des ressources a alimenté des insurrections séparatistes menées par l’Armée de libération baloutche (BLA), le Front de libération baloutche (BLF) et l’Armée républicaine baloutche (BRA). Bien que distincts idéologiquement de la militance religieuse, ces groupes ont parfois opéré dans des terrains qui se chevauchent, exploitant un contrôle frontalier faible et des canaux de financement externes.

Du djihad à la fragmentation :

Après le 11 septembre, le Pakistan s’est allié aux États-Unis contre le terrorisme mais a dû faire face à un paradoxe interne, combattant les militants à l’étranger tout en luttant pour les contenir intérieurement. Le TTP, formé en 2007, a uni plusieurs factions contre l’État pakistanais. Malgré des opérations militaires successives comme Rah-e-Nijat, Zarb-e-Azb et Radd-ul-Fasaad, les vestiges de ces groupes trouvèrent refuges sûrs en Afghanistan. 4] Pendant ce temps, les mouvements séparatistes baloutches ont intensifié les attaques contre les infrastructures et les installations de sécurité, ciblant les projets liés au Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC). Les deux crises, l’extrémisme idéologique dans le nord-ouest et le séparatisme dans le sud-ouest, constituent désormais le défi sécuritaire le plus complexe du Pakistan. Tous deux exploitent des espaces non gouvernés et brouillent l’autorité de l’État le long de la ligne Durand. [5]

Importance géostratégique et commerciale :

Le corridor entre le Pakistan et l’Afghanistan présente un potentiel géo-économique immense. Les routes commerciales passant par Torkham, Chaman, Ghulam Khan, Angoor-Adda et les frontières de Kurram pourraient transformer les deux économies en reliant l’Asie du Sud à l’Asie centrale via des projets de transit comme le chemin de fer transafghan et le corridor énergétique CASA-1000[6]. Pour le Pakistan, la stabilité signifie l’accès aux marchés du Nord, et pour l’Afghanistan, le commerce signifie revenus et reconstruction.

Pourtant, l’insécurité persistante, la fermeture des frontières et la méfiance bureaucratique étouffent ce potentiel. Les réseaux informels de contrebande prospèrent, tandis que le commerce légitime s’étouffe. L’insécurité continue de transformer les opportunités en vulnérabilité.

Le Nexus : Gouvernance talibane, sanctuaires du TTP et séparatisme baloutche :

La TTA reste fragmentée entre priorités de gouvernance et sympathies militantes. Plusieurs commandants du TTP opèrent librement dans l’est de l’Afghanistan, lançant des attaques à l’intérieur du Pakistan. Les appels diplomatiques d’Islamabad à la répression ont donné peu de résultats.

Parallèlement, les insurgés baloutches ont étendu leurs opérations dans le sud-ouest du Pakistan, riche en ressources, attaquant les nœuds énergétiques et de transport. Les renseignements suggèrent une sophistication tactique accrue et des liens transfrontaliers sporadiques. [7] Le Pakistan fait donc face à une insurrection sur deux fronts, idéologique et ethno-politique, alimentant le même vide de gouvernance et de développement.

Angles internationaux et enjeux géopolitiques :

La région est réapparue comme un échiquier d’intérêts mondiaux concurrents :

  • États-Unis : Poursuit la lutte contre le terrorisme, la surveillance régionale, les minéraux et le maintien de son influence sur les corridors aériens afghans pour surveiller les mouvements des militants et contrôler la présence croissante de la Chine en Asie centrale et du Sud.
  • Chine : Priorise la sécurité du CPEC et l’extraction des ressources en Afghanistan.
  • Russie : Surveille le débordement d’Asie centrale sans intervention profonde.
  • Iran : Gère l’équilibre sectaire et la stabilité des frontières.
  • Inde : Étend la diplomatie douce à Kaboul pour contrer l’influence du Pakistan.
  • Qatar et Türkiye : sont devenus des médiateurs crédibles comblant les fossés diplomatiques.

Chaque puissance voit le corridor à travers le prisme de l’influence, et non de l’intégration, renforçant la dépendance plutôt que la souveraineté.

Situation actuelle : camions, sanctuaires TTP et tensions humanitaires :

La récente escalade a créé une crise économique et humanitaire aiguë. Des milliers de camions chargés de denrées périssables restent bloqués à Torkham et Chaman, suite à des frappes de représailles et des fermetures de frontières. Les fruits, légumes et produits laitiers se décomposent dans les contenants. Les risques de vol et de détérioration augmentent chaque jour[8]. Les commerçants et chauffeurs locaux subissent des pertes dévastatrices, avec des estimations de millions de dollars en envois ruinés. De longues files d’attente s’étendent sur des kilomètres, obligeant les conducteurs à dormir dans les véhicules sans nourriture, eau ni sécurité. [9] La crise a perturbé les chaînes d’approvisionnement alimentaire en Afghanistan et en Asie centrale, avec des répercussions sur l’inflation, les moyens de subsistance et l’opinion publique dans les deux pays. [10] Le blocus est devenu non seulement un point d’étranglement économique, mais une ligne de fracture humanitaire.

Cessez-le-feu et efforts fragiles pour la paix :

Le 19 octobre 2025, après une semaine d’affrontements ayant fait des dizaines de morts et des centaines de blessés, le Pakistan et l’Afghanistan ont convenu d’un « cessez-le-feu immédiat » à la suite de pourparlers de Doha médiés par le Qatar et la Turquie. Les deux parties se sont engagées à mettre fin aux hostilités et à « œuvrer pour une paix et une stabilité durables », une réunion de suivi étant prévue à Istanbul le 25 octobre.

Le ministre pakistanais de la Défense a confirmé que « le terrorisme transfrontalier depuis le territoire afghan cessera immédiatement », tandis que les porte-parole talibans ont annoncé des engagements mutuels à éviter de cibler les forces de sécurité, les civils ou les infrastructures critiques. 11]

Plusieurs analystes politiques internationaux restent cependant prudents, notant que le cessez-le-feu n’inclut pas le TTP, qui continue d’opérer de manière autonome. La trêve est donc une pause diplomatique plutôt qu’une paix durable, vulnérable aux perturbateurs des deux côtés de la frontière. De plus, la TTA et le TTP partagent des liens idéologiques et opérationnels de longue date, remontant à 1996. Distinguer le TTP du TTA sera un défi redoutable, surtout compte tenu de la structure de gouvernance fragile en Afghanistan. Parallèlement, les grandes puissances internationales suivent de près ces évolutions dans l’évaluation de leurs intérêts stratégiques dans le paysage régional en évolution.

Recommandations de politique :

  1. Soutenir les équipes de surveillance facilitées par le Qatar–Turquie pour superviser le respect, enquêter sur les violations et coordonner la communication entre les commandements frontaliers.
  2. Établir des entrepôts frigorifiques et des parcs de camions protégés sous la gestion logistique de l’ONU/OCI afin de protéger les produits périssables et les moyens de subsistance des commerçants.
  3. La TTA doit prendre des mesures démontrables pour contraindre le TTP à renoncer aux activités armées et à couper les réseaux opérationnels qui menacent la sécurité du Pakistan. L’inaction continue risque de saper leur propre gouvernement à Kaboul et d’éroder son soutien régional.
  4. La TTA, avec une facilitation internationale, devrait initier un processus de réintégration vérifié permettant aux membres désarmés du TTP et à leurs familles de se réinstaller pacifiquement en Afghanistan sous supervision et surveillance. Parallèlement, le rapatriement volontaire des réfugiés afghans du Pakistan devrait être soutenu par des mécanismes de financement internationaux garantissant une réinstallation sûre, digne et durable. Une telle approche double pourrait préserver la cohésion interne de la TTA tout en garantissant que le territoire afghan ne soit pas utilisé comme base de militantisme au-delà de la frontière.
  5. Créer un mécanisme de compensation à réponse rapide pour les petits commerçants touchés par les fermetures et confiscations, financé conjointement par des partenaires donateurs et des redevances de transport.
  6. Lancez des plannings de dédouanement synchronisés, un suivi numérique en temps réel des cargaisons et des protocoles de réouverture prévisibles pour dépolitiser les interruptions commerciales.
  7. Élargir les cadres de gestion des risques de sécurité pour inclure la résilience économique, la continuité des échanges et la participation du secteur privé en période de crise.
  8. Prioriser l’éducation, le microcrédit et les projets d’emploi dans les districts tribaux du KP et du Baloutchistan pour contrer le recrutement des extrémistes et des séparatistes.
  9. Institutionnaliser un « Forum de stabilité pakistano-afghan » incluant la Chine, l’Iran, les États d’Asie centrale et les partenaires du Golfe pour un dialogue continu et une coordination des investissements.

Le cessez-le-feu de Doha offre une pause rare dans un cycle de conflits qui s’étend sur plusieurs générations. Mais sans suivi institutionnel, la confiance se détériorerait plus vite que les marchandises pourrissant dans des camions bloqués. La fraternité pachtoune partagée et l’identité baloutche le long de cette frontière auraient dû être des sources d’unité, et non de divisions. Une paix durable exige des réformes profondes à travers l’Afghanistan, les districts tribaux du KP et le Baloutchistan, incluant un développement socio-économique à long terme, la stabilité politique, l’accès à la justice, une gouvernance responsable, l’éducation pour les hommes comme pour les femmes, et la protection des droits humains fondamentaux. La frontière peut à nouveau servir de pont si les deux nations reconnaissent que protéger les moyens de subsistance est aussi stratégique que de protéger les frontières.

RÉFÉRENCES :

[1] Britannica, Durand Line : Histoire et Différends – 2024

[2] ETH Zurich, Durand Line et son héritage politique – 2013

[3] CRS, Relations Pakistan–Afghanistan : frontières et militantisme-2023

[4] Équipe de soutien analytique et de surveillance des sanctions de l’ONU, TTP et terrorisme régional-2024.

[5] IISS, insurrection baloutche et risques de sécurité du CPEC – 2024.

[6] CSIS, Dynamiques de sécurité régionales en Asie centrale du Sud-2024.

[7] ISS Europe, l’effet de débordement de l’Afghanistan sur l’Asie du Sud – 2023.

[8] Reuters, fermetures de la frontière Pakistan–Afghanistan et impact commercial – oct. 2025

[9] Actualités arabes, les commerçants avertissent des pertes périssables en milieu de fermeture des frontières – octobre 2025.

[10] Dunya News, longues files d’attente de camions à Torkham et Chaman-octobre 2025.

[11] Al Jazeera, ce que nous savons du cessez-le-feu Pakistan–Afghanistan — va-t-il tenir ? – Oct. 2025.



Comments are closed