L’épopée inachevée de la femme

Ô peuple, compatriotes dispersés aux quatre vents, mes mots s’adressent à vous.
À toi, femme, qui au XXIᵉ siècle — en une ère où l’humanité a appris à se recréer elle-même — dois encore craindre que ton vêtement n’offense le désir d’un homme qui se prétend vertueux.
À toi, qui ravales ta voix de peur que ton cri ne fasse trembler les murs fragiles de l’obscurité d’un autre.
À toi, qui derrière les murs muets de Kaboul, dans les cours poussiéreuses de Mazar, dans les ruelles étroites de Hérat, caches encore l’espoir comme un trésor enfoui, craignant qu’on ne le découvre pour te le voler.
Et moi, homme né de cette même terre, j’en ai honte.
Honte que depuis des siècles, nos noms d’hommes aient été inscrits sur les étendards de la civilisation, tandis que nos ombres pèsent encore si lourdement sur ta lumière.
Honte qu’au lieu de briser les murs de l’ignorance, nous en soyons devenus les briques.
Honte que lorsque tu parlais du droit d’apprendre, nous prêchions au lieu d’écouter ; et lorsque tu criais, nous restions silencieux.
Nous avons construit des esprits artificiels. Mais nous n’avons jamais trouvé un cœur humain. Nous avons touché les étoiles, mais nous ne comprenons toujours pas où commence la lumière.
Mais crois-moi : ton combat est sacré. Non pas parce que tu défies le fouet des talibans ou leurs décrets, mais parce que tu t’opposes à l’oubli et à l’ignorance, à notre silence et à l’habitude séculaire de l’obéissance.
Le monde n’entend peut-être pas ta voix, mais la terre, elle, l’entend. Chaque pas que tu fais en silence ébranle les fondations de la tyrannie. Chaque larme que tu verses atteste que la conscience de cette nation respire encore.
Tu es la moitié qui, si elle se lève, fait se lever la terre entière.
Mais femme, sache ceci : ta libération ne réside pas seulement dans la lutte contre le Talib ou le mollah. Le Talib n’est que le visage d’un démon ancien, une créature nourrie par l’ignorance et renforcée par la division. Des puissances étrangères l’ont peut-être forgé, mais c’est notre silence intérieur qui le maintient en vie.
Le colonialisme ne vient pas toujours avec un fusil ; parfois il se présente sous une belle parole, un sourire occidental, une promesse de liberté qui dissimule une nouvelle chaîne.
Pour que ton combat dure, il doit naître de l’intérieur, de la lucidité, de la confiance en toi, de la connaissance de tes racines et de ton histoire.
Non pas la liberté écrite dans les livres des hommes, ni les droits pesés sur les balances politiques, mais cette liberté intérieure, cette dignité héritée de tes aïeules : de Rabi’a de Balkh, de Shirin la Hazara, de Goharshad Begum, et de Nadia Anjuman, qui un jour écrivit :
Va, portier, va ! Tes mains ne sont pas vides. Va raconter cette histoire dans toute la ville :
Derrière ce mur de pierre, une fille fut unie à l’éternité et, au fond de l’épreuve, elle rejoignit la génération née du fer.
Ô femmes silencieuses, votre silence est la graine de l’obscurité. Si vous ne pouvez pas vous lever, alors au moins ne demeurez pas muettes. Lisez, et parlez, même si ce n’est qu’à l’intérieur de votre cœur. Écrivez, même sur la poussière. Riez, même en secret. Car la tyrannie ne survit pas par les armes, mais par le silence.
Et vous, hommes de cette terre, si un reste d’honneur coule encore dans vos veines, sachez ceci : la liberté des femmes n’est pas votre défaite ; elle est votre salut, et celui de votre nation.
Chaque fois que vous réduisez une femme au silence, vous brûlez un arbre dont l’ombre vous aurait un jour protégé. Et chaque fois que vous lui tendez la main, ce n’est pas de la bonté, c’est le paiement d’une dette vieille de plusieurs siècles.
Ô fille de cette terre brûlée, je me tourne vers toi par peur de l’obscurité qui envahit aujourd’hui l’esprit des hommes. Tu es la continuation d’une histoire inachevée, et tu en seras l’héroïne.
Ne laisse pas le mot femme demeurer synonyme de douleur et de silence. Redéfinis-le, au nom de la sagesse, au nom de la beauté, au nom du droit, et au nom du combat.
Tu peux bâtir une génération où aucune sœur n’aura à se cacher pour étudier, où aucune fille ne naîtra dans la peur et la honte, et où l’amour ne sera pas un crime, mais une fierté.
Et si aujourd’hui tu n’as pas la force de te lever, alors aie au moins l’incapacité de rester silencieuse.
La liberté n’attendra pas notre silence. Et un jour, lorsque l’histoire écrira de nouveau la voix de cette terre, que l’on sache ceci :
Ceci fut l’épopée inachevée de la femme : une histoire d’insoumission au milieu des ruines, le témoignage que, malgré tout, il resta des femmes qui se tinrent debout.










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