L’attentat contre Hasina Kohistani, symptôme de la trahison européenne dénoncée par Richard Bennett

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A/80/432 – Situation des droits de l’homme en Afghanistan (ONU, 8 octobre 2025)
Ce rapport du Rapporteur spécial détaille la dégradation systémique des droits humains sous le régime taliban, alerte contre toute normalisation « de facto » et documente la persécution fondée sur le genre, les exécutions publiques, les représailles transnationales et les risques pour les exilés afghans.
Source : Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR). Document au format PDF.

L’Europe face à l’avertissement de l’ONU : reconnaître les Talibans, c’est violer les droits humains

Le nouveau rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en Afghanistan, Richard Bennett (A/80/432, octobre 2025), sonne comme un ultimatum moral. Il dénonce la dégradation continue des libertés fondamentales et avertit la communauté internationale contre toute forme de normalisation du pouvoir taliban. « Certains États membres semblent se diriger vers une reconnaissance de facto des Talibans », écrit-il, avant d’ajouter : « Aucune normalisation ne doit intervenir sans améliorations significatives, mesurables et vérifiées de la situation des droits humains. » Dans le langage diplomatique onusien, c’est une condamnation sans détour.

Le rapport décrit un pays soumis à un système totalisant de domination et d’exclusion. Les Talibans, note Bennett, ont érigé « un régime institutionnalisé de discrimination et de persécution fondé sur le genre », supprimant le droit à l’éducation, au travail et à la participation publique pour les femmes et les filles. Les flagellations et exécutions publiques se multiplient, la justice est remplacée par l’arbitraire religieux, la presse réduite au silence, la société civile étranglée. Le Rapporteur spécial souligne que ces politiques constituent non seulement des violations graves du droit international, mais aussi un crime contre l’humanité. La Cour pénale internationale a d’ailleurs émis des mandats d’arrêt contre le chef suprême des Talibans, Hibatullah Akhundzada, et leur chef de la justice, Abdul Hakim Haqqani, pour « persécution sur la base du genre et de la politique ».

Bennett va plus loin : il accuse certains États d’entretenir, sous couvert de “réalisme”, des relations qui équivalent à une reconnaissance implicite. « Fermer les yeux sur ces abus, écrit-il, revient à encourager la persécution et à établir un précédent mondial dangereux. » Son avertissement s’adresse directement à l’Europe. En octobre 2025, vingt États européens — dix-neuf membres de l’Union et la Norvège — ont signé une lettre demandant à la Commission européenne de négocier un accord avec les Talibans pour le renvoi des migrants afghans « en situation irrégulière ». Parmi eux, l’Allemagne a reconnu l’existence de discussions « à un stade avancé ».

Sous la pression politique, Berlin a franchi une ligne rouge : elle a appliqué les décisions d’un régime qu’elle prétend ne pas reconnaître. Lorsque le ministère taliban des Affaires étrangères a révoqué le consul légitime de la République, Hamid Nangialay Kabiri, le gouvernement allemand a jugé cette révocation « juridiquement contraignante ». Le 3 octobre, le représentant désigné par les Talibans, Said Mustafa H., a pris possession du consulat afghan de Bonn. Les vingt-deux employés du consulat républicain ont démissionné, refusant de cautionner cette capitulation diplomatique.

Derrière cette manœuvre administrative se cache un précédent d’une gravité extrême. En prenant le contrôle du consulat, les Talibans ont eu accès à des serveurs informatiques contenant les données personnelles de milliers d’Afghans réfugiés en Europe, au Canada et en Australie : copies de passeports, correspondances, formulaires de visa, certificats familiaux. Ces fichiers, désormais entre leurs mains, constituent une base de traçabilité pour cibler les opposants et leurs proches. « Pour les Talibans, ce n’est pas un consulat, c’est un champ de bataille numérique », écrivait La Lettre d’Afghanistan le 29 octobre.

Richard Bennett avait anticipé un tel scénario. Dans son rapport, il met en garde contre « la réduction du soutien international aux défenseurs des droits humains et l’augmentation des représailles transnationales contre les Afghans en exil ». Cette alerte, restée lettre morte, s’est tragiquement confirmée quelques semaines plus tard.

L’attentat contre Hasina Kohistani : le prix du double langage

Dans la nuit du 29 octobre, Hasina Kohistani, avocate et militante des droits des femmes réfugiée en Allemagne, a été attaquée à son domicile par plusieurs individus non identifiés. Gravement blessée, elle a été hospitalisée dans un état critique. L’agression est survenue après plusieurs semaines de filature suspecte et de menaces en ligne. Les autorités allemandes ont ouvert une enquête, mais la coïncidence temporelle avec la prise de contrôle du consulat de Bonn ne laisse guère de doute dans la diaspora : l’accès des Talibans aux données diplomatiques a brisé la barrière de sécurité entre les exilés et leurs bourreaux.

Ce drame illustre le danger d’une diplomatie européenne devenue incohérente. En cherchant à coopérer avec les Talibans pour gérer les flux migratoires, certains États leur offrent un levier inédit : celui de la peur. Les victimes ne sont plus seulement en Afghanistan ; elles vivent désormais à Berlin, Paris ou Oslo. La “raison d’État” s’est substituée au droit d’asile, et la protection promise par la Convention de Genève s’effrite sous le poids du cynisme politique.

L’affaire Kohistani révèle que la complicité passive des démocraties européennes peut avoir des conséquences directes et meurtrières. Elle démontre aussi, comme l’avait prévu Bennett, que « l’impunité et la complaisance étrangère renforcent la brutalité du régime et sapent la confiance des victimes dans le système international de protection ».

L’Europe en violation de la Déclaration universelle

En agissant ainsi, l’Allemagne et plusieurs États européens violent les principes les plus fondamentaux du droit international. L’article 3 de la Déclaration universelle garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne — droit violé dès lors qu’un réfugié devient la cible d’un régime reconnu implicitement. L’article 5 interdit la torture et les traitements inhumains, mais les Talibans continuent à exécuter, flageller et mutiler dans l’indifférence des chancelleries. L’article 12 protège la vie privée, pourtant compromise par le transfert des données diplomatiques. Les articles 13 et 14 affirment le droit de quitter un pays et de chercher asile ; ils sont trahis par les projets de déportation vers l’Afghanistan. Enfin, l’article 28 consacre le droit à un ordre international où les droits de l’homme peuvent être réalisés — un ordre que l’Europe mine en reconnaissant, même tacitement, un régime fondé sur la persécution.

Bennett résume ce paradoxe dans la conclusion de son rapport : « Il est inexplicable et injustifiable que l’aggravation des violations massives des droits humains soit désormais accueillie par des signes croissants d’acceptation ou de normalisation. » Ce constat, adressé à la communauté internationale, vise directement les États qui, au nom du pragmatisme, transforment la diplomatie en déni moral.

La faillite morale du réalisme européen

Les Talibans n’ont pas changé ; c’est le monde qui s’est habitué à leur violence. En Afghanistan, les femmes sont exclues de l’espace public, les juges sont réduits au silence, la jeunesse éduquée fuit le pays. Pourtant, en Europe, certains responsables politiques continuent de parler de « réengagement », de « gestion technique », de « coopération sécuritaire ». Ce vocabulaire euphémise la complicité. Richard Bennett rappelle que « la solidarité internationale ne se mesure pas à la proximité diplomatique, mais à la défense des principes ». Ces principes — la liberté, la dignité, la non-discrimination — sont aujourd’hui la seule ligne de résistance contre la légitimation du fanatisme.

Reconnaître les Talibans, directement ou indirectement, c’est renoncer à l’universalité du droit. Et dans le cas de l’Allemagne, c’est trahir l’héritage même de la Déclaration universelle qu’elle a contribué à rédiger. En livrant les clés d’un consulat, en ouvrant la voie à des renvois forcés, et en exposant des exilés à la vengeance d’un régime criminel, Berlin n’a pas seulement violé un texte ; elle a brisé un serment. Le serment qui fait des droits humains une frontière infranchissable.

🕊️ Bloc sources – Rapport Bennett, normalisation implicite et risques pour la diaspora

🔹 Rapport de référence (ONU)
A/80/432 – Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in Afghanistan, Richard Bennett (8 octobre 2025)
  → §§ 2, 3 et 104(a) : interdiction de toute normalisation de facto des Talibans tant qu’il n’y a pas d’améliorations vérifiées des droits humains.

🔹 Pressions européennes pour un accord avec les Talibans
KabulNow – “EU States Push for Deal with Taliban to Deport Illegal Afghan Migrants” (octobre 2025)
  → 20 États européens, dont l’Allemagne, demandent à la Commission d’engager des retours vers l’Afghanistan.

🔹 Couverture allemande / DW
Deutsche Welle (DW) – page actualités Allemagne
  → Rechercher : “Germany defends contacts with the Taliban over evacuations / returns” ou “German gov’t confirms talks with Taliban on Afghans” (DW, octobre 2025).
  → DW confirme la ligne officielle : contacts “techniques” avec les Talibans malgré l’absence de reconnaissance.

🔹 Prise de contrôle du consulat de Bonn
La Lettre d’Afghanistan – “Berlin temporise, les Talibans passent en force”
  → Accès des Talibans aux données numériques de la diaspora via le consulat de Bonn, malgré les alertes des représentations afghanes.

🔹 Contexte droits humains / femmes
UN Women – “Gender Alert: Four Years of Taliban Rule” (août 2025)
Rawadari – Rapport sur la torture et les détentions sous les Talibans

🔹 Données humanitaires
UNOCHA – Afghanistan Humanitarian Update (mai 2025)
ReliefWeb – Afghanistan NGO Funding Survey (juin 2025)

🔹 Références juridiques
Déclaration universelle des droits de l’homme (ONU, 1948)
Cour internationale de Justice (CIJ)

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