EDITO 18 avril 2025

Les Afghans, parias de la planète

Les exilés Afghans— ceux dont la fuite n’est pas née du dernier chaos, mais d’un effondrement lent, ancien, devenu presque héréditaire. Ils ont quitté leur terre il y a dix, vingt, parfois trente ans, chassés par la guerre, le fanatisme ou la misère. Pour eux, l’exil n’est pas un épisode, c’est une condition. Ils n’ont plus de pays où revenir, plus de refuge où rester, plus de promesse à laquelle croire. Leur avenir s’est dissous entre les frontières, les papiers refusés, les silences diplomatiques.

On ne parle plus beaucoup d’eux. Les projecteurs se sont éteints. Les grandes puissances ont refermé le dossier afghan comme un vieux livre gênant. Et pourtant, ils sont là — ces millions d’Afghans dispersés à travers le monde, entassés dans les camps au Pakistan, sans papiers en Iran, ballottés entre les refus de visa et les expulsions.

Les États-Unis, qui avaient promis l’asile à leurs alliés afghans, révoquent aujourd’hui en silence des milliers de visas. Ceux qui avaient cru en la parole américaine, qui avaient servi l’armée, les ONG, les diplomates, se retrouvent abandonnés, invisibles, traqués parfois.

Une autre menace se dessine, plus insidieuse encore : celle de l’expulsion organisée. Aux États-Unis, des milliers d’Afghans installés depuis des années — parfois depuis des décennies — voient aujourd’hui leur statut remis en cause. Non seulement les derniers arrivés, mais aussi ceux qui vivaient légalement grâce à des cartes de séjour, sans avoir encore obtenu la nationalité. Dernier coup porté à cette diaspora : une responsable de l’administration Trump, désormais juge de l’immigration, a récemment estimé qu’il n’y avait plus de « risque sérieux » à renvoyer les Afghans dans leur pays d’origine. Comme si le régime taliban, ses prisons, son apartheid de genre, et son système de représailles n’étaient qu’un lointain souvenir. Où les États-Unis comptent-ils les renvoyer ? Dans quel pays peut-on déporter un peuple sans patrie, sans garantie de sécurité, sans avenir ? Une telle politique ne relève plus de l’oubli, mais d’un abandon délibéré.

Mais au cœur de cette tragédie silencieuse, il y a une autre blessure plus profonde encore : le sort des femmes afghanes.
Celles qui ont grandi en exil, étudié dans des lycées pakistanais, décroché des diplômes à Kaboul ou à Téhéran. Celles qui ont cru qu’un autre destin était possible. Aujourd’hui, ces femmes, si elles sont renvoyées en Afghanistan, n’ont strictement rien à espérer. Aucune place dans l’espace public. Aucun droit de travailler, d’étudier, de se déplacer librement. Elles retourneront à une vie de réclusion, de silence, de peur.

Et puis il y a cette autre injustice, plus sournoise : celle que certains Afghans font subir à leurs compatriotes. Lors de la débâcle de 2021, dans le chaos de l’exode, des membres des Talibans — ou leurs sympathisants — ont profité de l’anarchie pour se glisser parmi les réfugiés. Certains se sont installés en Occident. Quelques-uns ont commis des crimes, des violences, parfois odieuses. Et chaque fois que cela arrive, c’est l’ensemble des exilés afghans qui en paie le prix. Les portes se referment. La suspicion s’installe. Et ceux qui ne demandent rien d’autre que la paix sont, une fois de plus, pris au piège. Otages de leur propre identité.

Aujourd’hui, être Afghan, c’est être paria.
Non pas pour ce que l’on a fait, mais pour ce que l’on est.
Il y a plus de 15 millions d’Afghans dispersés sur la planète. Et aucun plan mondial pour les accueillir dignement, pour les protéger, pour les considérer.

Il ne s’agit plus seulement d’hospitalité. Il s’agit de justice, de mémoire, de courage politique.
Refuser de les voir, c’est choisir l’oubli. Et l’oubli, c’est la forme la plus raffinée de la cruauté.

 



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