
Certaines nouvelles viennent en silence, mais leur écho révèle des mouvements profonds. La réunion tenue du 3 au 5 décembre à Bruxelles entre l’opposition démocratique afghane, des responsables européens et, en marge, un représentant pakistanais, appartient à cette catégorie. Aucun communiqué officiel, aucune photo, aucun discours public : seulement quelques lignes captées dans la presse spécialisée, indiquant qu’un « dialogue politique important » a été ouvert.
Le secret n’est jamais anodin. Il suggère un monde diplomatique qui se réveille – et un rapport de forces qui commence discrètement à changer.
Selon le document rendu public par South Asia Journal
, la rencontre réunissait des membres du Front pour la liberté de l’Afghanistan, du Front national de résistance, des groupes de femmes et des militants civils. Leur objectif commun : dépasser les condamnations morales, pour se tourner enfin vers une alternative politique crédible au régime taliban. Ce mot – crédible – résume tout le basculement qui s’opère.
Pour la première fois depuis 2021, des acteurs européens envisagent ouvertement la possibilité d’un Afghanistan post-taliban.
Pendant ce temps, sur le terrain, les Talibans se préparent à ce qu’ils perçoivent eux-mêmes comme une menace. Ils ont annoncé la formation d’une unité de déploiement rapide de 1 000 combattants pour sécuriser leurs frontières nord, après plusieurs attaques contre le Tadjikistan. Une ligne de défense interne, un verrou stratégique : le signe clair qu’ils redoutent désormais la montée en puissance des fronts de résistance et la recomposition des alliances régionales.
Les Talibans, eux aussi, sentent qu’une ère touche peut-être à sa limite.
À Bruxelles, un autre fait marquant a été observé : la présence d’un représentant pakistanais. Islamabad, longtemps parrain ambigu du mouvement taliban, change aujourd’hui de posture. Le ministère pakistanais de la Défense l’a reconnu publiquement : faire confiance aux Talibans fut « une erreur ». Le Pakistan mesure désormais que le soutien qu’il a accordé pendant vingt ans se retourne contre lui sous la forme d’attaques du TTP, d’une frontière devenue ingérable et de relations talibanes intensifiées avec l’Inde.
Un retournement politique majeur, dont l’opposition afghane compte tirer parti.
Car sur un autre front, l’opposition a franchi un seuil inédit : elle réclame ouvertement des drones, des moyens technologiques et un soutien militaire ciblé. Pendant que les Talibans reçoivent du matériel étranger (des drones venant d’Inde) – transféré ensuite à des groupes armés hostiles au Pakistan –, les factions anti-talibanes comprennent qu’elles ne peuvent l’emporter sans un soutien extérieur. Cette demande adressée à Islamabad marque un renversement historique : les résistances afghanes tendent désormais la main à leur ancien adversaire stratégique.
Dans ce climat où tout semble converger vers une recomposition, une voix s’est élevée avec une force singulière : celle du général Abdul Raqib Mubariz, ancien commandant de l’unité d’élite CRU 222 à Kaboul, aujourd’hui réfugié aux États-Unis.
Dans une lettre ouverte adressée au président Donald Trump, il affirme ce que beaucoup d’opposants ne disent qu’à demi-mot :
Les Afghans n’ont pas renoncé à reconquérir leur pays.
Ils demandent des armes, un appui politique, mais pas de soldats étrangers au sol.
Son message, empreint d’une lucidité stratégique rare, résonne comme un contrepoids direct à la propagande talibane :
- Il rappelle que l’armée afghane et l’armée américaine n’ont jamais perdu une seule bataille contre les Talibans.
- Il accuse nommément les architectes de l’accord de Doha d’avoir remis le pays aux extrémistes.
- Il insiste sur le fait que les Afghans « ne veulent pas vivre en exil » et sont prêts à rentrer se battre.
- Et surtout, il formule une demande claire : que Washington soutienne l’opposition dans la reconquête de son pays, sans intervention directe.
Cette lettre n’est pas un simple cri du cœur : c’est un document politique majeur, révélateur d’un état d’esprit dans l’exil afghan.
Elle montre que les anciens commandants d’élite, longtemps invisibles, se réorganisent, parlent d’une même voix, et sont prêts à s’aligner sur une stratégie internationale cohérente : neutraliser le régime taliban avant qu’il ne devienne une menace incontrôlable pour l’Asie centrale, le Pakistan, l’Iran… et l’Occident.
C’est dans ce contexte que s’inscrit également la Déclaration du Front pour la liberté de l’Afghanistan (AFF), publiée le 1ᵉʳ décembre.
Elle rappelle l’essentiel :
les Talibans ont transformé l’Afghanistan en prison, en refuge pour terroristes, en zone de fragmentation ethnique et de répression totale.
Elle appelle toutes les forces politiques, civiles, médiatiques, sociales, à s’unir dans un front commun – condition indispensable pour que l’aide internationale s’enclenche réellement.
Bruxelles, Washington, Kaboul : trois scènes différentes, mais un même mouvement.
En Europe, on parle enfin d’une alternative politique afghane.
Au Pakistan, on reconnaît l’erreur stratégique historique.
Aux États-Unis, des officiers décorés demandent de soutenir la résistance.
Sur le terrain, les Talibans se retranchent – signe qu’ils voient venir ce que beaucoup espéraient sans y croire : une convergence internationale pour mettre fin à leur domination.
Le point d’équilibre se rapproche.
L’histoire n’offre pas souvent deux fois la même chance : encore faut-il que ceux qui souhaitent la liberté sachent la saisir.
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