
Devant le Conseil de sécurité, Georgette Gagnon, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général de l’ONU pour l’Afghanistan a livré un message sans détour : l’Afghanistan s’enfonce dans une crise totale des droits humains, tandis que le régime taliban persiste dans l’isolement et l’idéologie, au détriment de son propre peuple.
Elle rappelle que, quatre ans après l’interdiction de l’enseignement secondaire et universitaire pour les filles, l’Afghanistan est désormais privé de toute une génération de médecins, de professionnelles, de penseuses et de bâtisseuses indispensables à son avenir. La presse est bâillonnée, les libertés rétrécies, et la loi sur la « vertu et le vice » façonne un quotidien étouffant pour les femmes comme pour les hommes. Même les employées afghanes de l’ONU sont interdites d’accès aux bureaux des Nations Unies — une humiliation qui bloque l’aide et viole les principes fondamentaux de l’organisation.
À cette crise des droits s’ajoute une crise humanitaire vertigineuse : plus de 23 millions de personnes dépendront de l’aide en 2026. Le retour de 2,5 millions d’Afghans d’Iran et du Pakistan a gonflé la population de 6 % en un an, sans infrastructures, sans emplois, sans ressources. La croissance économique ne compense même plus la hausse démographique : le revenu par habitant continue de chuter, plongeant le pays dans une pauvreté chronique.
Politiquement, Gagnon met en lumière la fracture interne du régime : un camp obsédé par l’isolement idéologique, un autre conscient que l’Afghanistan ne peut survivre coupé du monde. La coupure nationale des télécommunications — un acte brutal, dangereux, vite annulé par la faction pragmatique — en est la métaphore parfaite.
Enfin, si le pays connaît une accalmie militaire relative, les tensions explosives avec le Pakistan et la fermeture des frontières menacent une économie déjà exsangue.
Son message final est clair :
l’Afghanistan ne pourra réintégrer la communauté internationale que lorsqu’il respectera les droits humains, libérera les femmes et acceptera un dialogue multilatéral réel.
Derrière les chiffres et les rapports, c’est un peuple qui s’épuise.
Une stabilité de façade masque une profonde fragilité.
Et le temps presse pour empêcher qu’un isolement idéologique ne devienne un enfermement irréversible.
Synthèse du rapport du Secrétaire général sur la situation en Afghanistan (décembre 2025)
1. Contexte général : centralisation autoritaire et crise multidimensionnelle
Le rapport décrit une consolidation accrue du pouvoir autour d’Haibatullah Akhundzada, désormais engagé directement dans la gestion du régime taliban. Cette centralisation s’accompagne d’initiatives de contrôle social radical : coupures massives d’Internet, durcissement de l’application de la loi sur la Vertu et le Vice, marginalisation totale des femmes, et répression de toute forme d’espace civique.
Malgré une apparente stabilité territoriale, l’Afghanistan traverse une triple crise :
- politique (isolement international, absence de légitimité, radicalisation idéologique)
- économique (effondrement des revenus, baisse de l’aide, inflation sociale)
- humanitaire (retours massifs, catastrophes naturelles, malnutrition, crise sanitaire).
Le rapport souligne que l’Afghanistan vit la crise des droits des femmes la plus grave au monde, et que cette situation empêche toute normalisation internationale.
2. Développements politiques : contrôle idéologique, censure et effondrement des libertés
2.1. Consolidation du pouvoir par Akhundzada
Le leader taliban multiplie les réunions à Kandahar pour affirmer son autorité idéologique :
- séminaires éducatifs pour promouvoir un enseignement religieux exclusif ;
- rencontre nationale des gouverneurs et administrateurs pour renforcer l’obéissance, la piété et la surveillance interne ;
- transfert de compétences à la police religieuse (Propagande de la vertu) sur des domaines non religieux (santé mentale, surveillance sociale).
2.2. Coupures d’Internet et filtrage
Le fait le plus marquant est la coupure totale des réseaux fibre et mobile pendant 48 heures, ordonnée depuis Kandahar. Cette décision a paralysé :
- trafic aérien, hôpitaux, retraits bancaires, transferts de devises, commerces.
Le Secrétaire général qualifie cette coupure de violation grave des droits humains, entraînant un préjudice systémique à toute la société.
2.3. Érosion continue de l’espace civique
- Interdiction stricte d’accès pour les femmes employées des Nations Unies.
- Censure accrue des médias, y compris interdiction d’images d’êtres vivants.
- Pression contre les madrasas féminines et fermeture d’écoles religieuses pour « séculier » ou « mathématiques ».
- Révision complète des programmes scolaires : suppression de 51 thèmes, élimination des ouvrages écrits par des femmes.
2.4. Opposition afghane
L’opposition démocratique reste dispersée mais active. Elle se réunit notamment à Islamabad, plaidant pour un espace civique, une éducation inclusive et l’emploi des femmes. Mais aucune dynamique politique interne n’est aujourd’hui tolérée par le régime.
3. Sécurité : instabilité frontalière, retour des opérations pakistanaises, faiblesse relative des groupes armés
3.1. Activité des groupes armés
Les groupes de résistance — AFF, NRF, National Battle Front, Islamic Liberation Front, etc. — revendiquent 41 incidents, dont 19 vérifiés.
Ils ne menacent pas encore le contrôle territorial taliban, mais la résistance armée persiste, malgré la répression.
3.2. ISKP (Daech-Khorasan)
Le nombre d’attaques d’ISKP diminue, mais le groupe reste dangereux. Exécutions, assassinats, et représailles montrent que la menace demeure structurelle.
3.3. Crise majeure avec le Pakistan
Entre le 10 et le 18 octobre :
- 503 civils afghans tués ou blessés à cause des frappes et tirs pakistanais.
- Cibles fréquentes : TTP dans l’est de l’Afghanistan.
- Drone strikes récurrents, notamment près de Kaboul.
Une trêve a été négociée par Qatar et la Turquie, mais le rapport souligne le caractère fragile de ce cessez-le-feu.
4. Droits humains : répression systémique et apartheid de genre
4.1. Violence contre opposants et anciens fonctionnaires
- Exécutions extrajudiciaires
- Arbitrary arrests
- Torture
L’appareil sécuritaire taliban vise à éliminer tout vestige de l’ancien État.
4.2. Châtiments corporels
215 cas documentés (fouets, flagellations publiques), y compris contre femmes et enfants.
4.3. Exécutions publiques
La 11ᵉ exécution publique depuis 2021 a eu lieu en octobre. Le SG demande un moratoire immédiat.
4.4. Éducation sous contrôle absolu
- Fermeture des madrasas féminines post-grade 6.
- Suppression de matières entières dans le secondaire et l’université.
- Interdiction des livres écrits par des femmes.
- Interdiction de l’enseignement des droits humains.
4.5. Santé et exclusion des femmes
- Interdiction pour des hommes médecins de traiter des femmes.
- Suspension des programmes de formation médicale féminine → risques extrêmes pour la mortalité maternelle.
- Explosion des besoins, mais manque de professionnelles de santé dû aux restrictions talibanes.
4.6. Surveillance numérique et suffocation de l’espace privé
Les femmes rapportent :
- interdiction des smartphones dans 9 provinces ;
- fouilles physiques ;
- chute de la confiance dans les messageries privées.
5. Crise économique et sociale : effondrement de la résilience et retour massif des réfugiés
5.1. Effondrement économique
- Croissance quasi nulle (≈ 2,4 %).
- Hausse massive de la pauvreté.
- 2,46 millions de retours forcés d’Iran et du Pakistan : un choc démographique de +6 % en quelques mois.
5.2. Retournees en grande vulnérabilité
61 % des familles retournées ont au moins un membre sans documents → impossibilité d’accès aux services.
5.3. Humanitaire en effondrement
Seuls 35,7 % des fonds requis ont été reçus.
Déficits entraînant :
- fermeture de 422 centres de santé ;
- hausse de 15 % des cas de malnutrition ;
- absence d’aide alimentaire pour des millions de personnes avant l’hiver.
5.4. Catastrophes naturelles
Deux séismes majeurs (août et novembre) aggravent tous les indicateurs :
- plus de 2 100 morts en août ;
- destructions massives de maisons ;
- besoin urgent de reconstruction avant l’hiver.
6. Drogues : effondrement de l’opium mais explosion de la méthamphétamine
L’opium chute de 20 % en 2025 ; les revenus paysans s’effondrent (de 2 milliards à 134 millions).
Cette chute rapide provoque :
- pauvreté extrême dans les provinces rurales ;
- basculement vers la méthamphétamine, plus rentable, plus facile à produire et déjà en expansion régionale.
La communauté internationale juge cette situation hautement instable, avec risque de nouvelles économies criminelles.
7. Conclusions et messages clés du Secrétaire général
7.1. Afghanistan : un pays au bord du gouffre
Le SG décrit une réalité sans ambiguïté :
Une paupérisation extrême, un système institutionnel fermé, et la crise des droits des femmes la plus grave au monde.
7.2. Appels prioritaires
- Lever toutes les restrictions contre les femmes et les filles.
- Mettre fin aux exécutions publiques.
- Garantir l’accès au travail des femmes employées de l’ONU.
- Protéger les civils contre les hostilités Pakistan–Talibans.
- Financer davantage la réponse humanitaire.
- Construire une approche politique internationale cohérente (résolution 2721).
Conclusion générale de la synthèse
Le rapport confirme que le régime taliban durcit davantage encore son architecture théocratique, avec une centralisation extrême du pouvoir, l’effondrement de l’espace civique et la mise en place d’un véritable apartheid de genre.
La situation humanitaire bascule dans une phase critique : diminution de l’aide, retours massifs, séismes, crise alimentaire, absence d’infrastructures.
Le Secrétaire général avertit :
- la situation combine risques sociaux, économiques, sécuritaires, humanitaires et géopolitiques ;
- l’autonomie économique affichée par les Talibans masque un effondrement structurel ;
- les restrictions imposées aux femmes condamnent tout avenir de développement.
En filigrane, le message est clair :
sans transformation profonde du régime taliban, aucun scénario de stabilisation durable n’est possible.
NDR : veuillez trouver en pièces jointes les rapports complets A/80/556-S/2025/789 en anglais
https://lalettrehebdo.com/wp-content/uploads/2025/12/sg_report_afghanistan_s-2025-789.pdf
et en français
https://lalettrehebdo.com/wp-content/uploads/2025/12/sg_report_afghanistan_s-2025-789-1.pdf
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