Panique au sommet, mensonges à la base : quand les Talibans tentent de masquer l’effritement du pouvoir

Le récit d’un redressement comme ultime ligne de défense

Le discours du « redressement économique » est devenu l’un des piliers de la stratégie de survie du régime taliban. À mesure que l’isolement diplomatique se prolonge, que la contestation sociale s’étend silencieusement et que les divisions internes se font plus visibles, Kaboul tente d’imposer un récit de normalisation fondé sur des images de chantiers et des indicateurs partiels. Il ne s’agit pas d’un projet de reconstruction, mais d’un dispositif de communication destiné à masquer l’absence de vision politique et l’effondrement du contrat social.

Ce récit s’adresse autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. À l’étranger, il vise à atténuer l’image d’un régime paria. À l’intérieur, il sert à justifier la patience exigée d’une population appauvrie, sommée d’accepter la misère au nom d’un avenir promis mais jamais défini.

Infrastructures vitrines et réalité fragmentée

Routes, tunnels, canaux d’irrigation : les Talibans mettent en avant une série de projets d’infrastructures censés incarner la reprise économique. Ces chantiers sont soigneusement sélectionnés, mis en scène et présentés comme les preuves visibles d’un État fonctionnel. L’accès des observateurs étrangers est strictement encadré afin que ces images deviennent le prisme unique de lecture de la situation afghane.

Dans la réalité, nombre de ces projets sont inachevés, ralentis ou suspendus. Les défauts de conception, l’absence de planification à long terme, les contraintes sécuritaires et le manque de financements durables limitent leur impact réel. Certains chantiers, loin de stabiliser le pays, génèrent de nouvelles fragilités et nourrissent l’incertitude plutôt que la croissance.

Le canal de Qosh Tepa, symbole d’un développement sans boussole

Le canal de Qosh Tepa est régulièrement présenté comme l’emblème du savoir-faire économique taliban. Conçu pour irriguer de vastes zones agricoles, il est brandi comme la preuve d’une capacité à lancer des projets structurants sans aide occidentale. Mais ce projet illustre surtout les limites d’une approche unilatérale et idéologique du développement.

Mené sans concertation régionale approfondie, il fait peser de lourdes inquiétudes sur les équilibres hydriques en Asie centrale. Loin de renforcer la position internationale de Kaboul, il risque d’aggraver les tensions diplomatiques et de renforcer l’isolement du pays. Ici, l’infrastructure n’est pas un outil de coopération, mais un levier de communication politique à court terme.

Une croissance fiscale trompeuse

Les Talibans s’appuient sur une hausse annoncée des recettes fiscales, évaluée à environ 12 % sur un an, pour revendiquer une forme d’« autosuffisance ». Ce chiffre, régulièrement mis en avant, est présenté comme la preuve d’une gestion économique efficace et d’une reprise des capacités étatiques.

Cette lecture est trompeuse. L’augmentation des recettes fiscales ne traduit pas une croissance économique réelle, mais un durcissement de la pression fiscale sur une population déjà fragilisée, l’extension de prélèvements coercitifs et un contrôle accru des flux commerciaux. Elle ne reflète ni la création d’emplois, ni l’amélioration du niveau de vie, ni la relance d’un tissu productif inexistant.

Une économie maintenue sous perfusion internationale

Le cœur du mensonge économique réside dans un fait soigneusement occulté : l’économie afghane reste dépendante d’injections mensuelles de devises acheminées par les Nations unies. Ces flux ont permis d’atténuer la crise de liquidités, de stabiliser temporairement la monnaie et d’éviter l’effondrement du système bancaire.

Cette perfusion n’est pas le résultat d’une politique talibane, mais d’un choix humanitaire international visant à empêcher une catastrophe totale. Sans cette assistance, le vernis de stabilité s’effondrerait rapidement. Parler d’« autosuffisance » dans ces conditions relève donc de la fiction politique.

Le sabotage du capital humain

Aucun redressement économique n’est possible sans capital humain. Or la politique talibane repose sur son démantèlement méthodique. L’exclusion massive des femmes de l’éducation, du travail et de la vie publique prive le pays de la moitié de ses compétences, de sa capacité d’innovation et de toute perspective de développement durable.

Ce choix idéologique ne constitue pas seulement une violation des droits fondamentaux ; il est un acte de sabotage économique à long terme. Les infrastructures, même achevées, ne peuvent compenser l’effondrement du système éducatif, la fuite des cerveaux et la destruction des institutions civiles.

La pauvreté comme instrument de gouvernement

Face à l’incapacité de produire de la prospérité, le régime taliban transforme la pauvreté en vertu politique. La patience, le sacrifice et l’obéissance sont présentés comme des devoirs nationaux. La misère devient un passage obligé, justifié par la promesse vague d’un avenir meilleur.

Cette rhétorique accompagne un durcissement du contrôle social. Les mollahs sont mobilisés comme relais idéologiques, chargés de légitimer l’ordre existant depuis les mosquées et les madrassas. Le développement cède la place à la prédication, la politique à la loyauté.

Un pouvoir inquiet derrière la façade économique

Les appels répétés à l’unité, les mises en garde contre les divisions internes et les critiques inhabituelles exprimées depuis l’intérieur du régime révèlent un pouvoir sur la défensive. Le discours économique n’est plus un projet, mais un paravent destiné à masquer les fissures.

Les Talibans ne sont pas confrontés à une crise de communication, mais à une crise de gouvernance. Leur récit de redressement ne convainc ni la population, ni les acteurs régionaux, ni même l’ensemble de leurs propres cadres.

L’Afghanistan de 2025 n’est pas un pays en reconstruction, mais un pays maintenu à flot, privé de ses forces vives et enfermé dans un récit officiel de plus en plus déconnecté du réel. Le « redressement économique » vanté par Kaboul n’est pas une trajectoire mesurable ; c’est un décor dressé pour retarder l’évidence.

Ce décor peut tenir un temps. Mais plus l’écart entre la propagande et la réalité se creuse, plus le mensonge devient fragile. Et lorsqu’un régime ne peut plus offrir ni avenir, ni vérité, il ne lui reste que la contrainte pour durer.

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